L’Afrique de l’Est s’emballe pour le vélo gravel

Date:

Deux millions de gnous et un million de zèbres. La plus grande migration animale du monde attire tous les étés son lot de touristes internationaux, venus observer l’immense traversée de la Tanzanie vers le Kenya. Depuis quatre ans, les cyclistes professionnels investissent eux aussi le parc kenyan du Masai Mara, théâtre emblématique de safaris, pour une course de gravel unique, discipline hybride qui combine vélo de route et vélo tout-terrain, organisée en plein milieu de la faune sauvage.

Quatre étapes, 650 km et des sommets à plus de 3 000 m d’altitude. Le tout sur la ligne de l’Equateur, parmi les girafes et les lions, et au milieu de la poussière qui s’envole des chemins de terre rouge du Kenya. La Migration Gravel Race (MGR) s’est fait un nom dans le monde du cyclisme, pas uniquement comme une aventure sans commune mesure, mais aussi comme l’une des principales courses de ce sport en plein essor, qui fait se déplacer en Afrique de l’Est les plus grands champions.

« La meilleure expérience de ma vie sur un vélo », résume l’Italien Mattia De Marchi, le visage ocre et le souffle court, après 120 km parcourus dans le décor grandiose qu’offre la vallée du Rift. Le champion de gravel est venu rouler pour la troisième année consécutive au Kenya. « La première fois, j’en ai pleuré de pédaler au milieu des zèbres et des éléphants », sourit-il.

« Sortir du modèle très eurocentré »

Plus de cinq cents coureurs participent à la MGR ainsi qu’à la Safari Gravel Race, une autre course de gravel au Kenya, qui fait pour la première fois, cette année, partie du calendrier professionnel de l’Union cycliste internationale (UCI). « 90 % des participants sont des coureurs africains », tient à préciser le co-organisateur, Mikel Delagrange, un avocat américain qui a lancé une structure cycliste en Afrique de l’Est il y a cinq ans.

Son équipe, la Team Amani (« paix » en langue kiswahili), composée de huits coureurs, tous originaires d’Etats de la région, est facilement reconnaissable dans le peloton : les motifs de son maillot blanc et gris sont inspirés des taches de la girafe. « Les gars courent à haut niveau, insiste-t-il. Il ne s’agit pas d’un projet marketing, humanitaire ou d’une initiative de dons de vélos comme dans tant d’autres en Afrique. Nous avons une vraie ambition de haute performance sportive. »

Sur leurs terres, lors de la Safari Gravel Race, ils rivalisent avec le gratin mondial. Chez les hommes, Amani se classe quatrième et cinquième et deuxième chez les femmes. « Le gravel offre cette formidable chance de sortir du modèle d’un cyclisme de route très eurocentré qui manque d’intégration et de diversité », ajoute Mikel Delagrange, évoquant le plafond de verre auquel se heurtent encore, sur route, les cyclistes du continent.

Le projet a débuté en 2019 lorsque, avec Suleiman Kangangi, un coureur kényan décédé il y a deux ans lors d’une compétition aux Etats-Unis, ils décident de surfer sur la vague du gravel. « La fièvre s’est emparée du monde entier et on s’est dit pourquoi pas le faire ici, former des champions locaux qui ont les aptitudes physiques appropriées et un terrain de jeu parfait, où 90 % des routes sont des chemins de terre », se souvient-il. Un pari gagnant, renforcé par la tendance mondiale qui voit les sponsors et les fabricants se tourner davantage vers la discipline, pour laquelle les ventes dépassent désormais celles des vélos de route.

« Energie spéciale »

Le projet a séduit Tsgabu Grmay, tout juste retraité, qui fut pendant la décennie écoulée l’un des rares Africains du peloton professionnel sur route. « Je m’étais toujours dit qu’après ma carrière, je voulais m’investir dans le développement du cyclisme en Afrique, et Amani représente l’opportunité parfaite », tente d’articuler l’Ethiopien, éreinté et couvert de boue après sa première course hors du goudron habituel. Il a rejoint la Team Amani à la fois comme coureur et comme entraîneur de l’équipe espoir, les Black Mamba. « Je crois qu’on peut amener des coureurs au meilleur niveau mondial, bien plus rapidement que sur la route », juge Tsgabu Grmay.

Joel Kyaviro, originaire de Goma, est l’un de ses protégés. « Je peux dire que je suis le seul coureur gravel congolais ! », s’amuse le jeune homme de 21 ans, qui s’entraîne au Kenya dans cette discipline presque inexistante en RDC. « Team Amani m’apprend la rigueur, la nutrition, le professionnalisme », résume-t-il. Plus crucial peut-être, l’équipe panafricaine lui donne également les moyens financiers pour réaliser son rêve. Car le prix des vélos, de l’équipement et de la maintenance font que le gravel est encore loin de se démocratiser en Afrique de l’Est.

Ce jour de juin, lors de la Safari Gravel Race, Joel n’est pas satisfait, il rate sa course, et avec elle, la qualification pour les Championnats du monde espoirs. « C’est comme ça que se fait l’expérience, surtout quand on a la chance de pédaler au contact de tous les meilleurs mondiaux », analyse-t-il. Le jeune Congolais côtoie pourtant d’autres cadors au Kenya, à Iten, aussi surnommé « la maison des champions » en raison du nombre de marathoniens de qualité que cette ville de 40 000 habitants a produits.

C’est là, dans ce théâtre de l’excellence perché à 2 400 m d’altitude, que la Team Amani a implanté son centre d’entraînement en 2023, pour bénéficier de l’atmosphère et du savoir-faire des coureurs de fond. « L’énergie y est spéciale, s’enthousiasme Tsgabu Grmay. De vivre au milieu de ces milliers d’athlètes, de les voir courir si vite tous les matins, ça vous donne envie de vous dépasser. »

« L’Afrique en selle » : retrouvez tous les épisodes de notre série d’été

Réutiliser ce contenu

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Share post:

Subscribe

spot_imgspot_img

Popular

More like this
Related