Pour Léon Gnign, l’euphorie n’a pas duré longtemps. Tout juste quelques jours, le temps des retrouvailles avec sa femme à sa libération, le 14 mars, après sept mois de détention. « Je suis libre, certes, mais j’ai perdu ma dignité », confie le trentenaire au souffle court. Ses difficultés respiratoires témoignent des mauvaises conditions dans lesquelles il fut détenu. « J’ai beaucoup de mal à marcher et j’ai des boutons et rougeurs qui persistent sur tout le corps », indique le trentenaire qui n’a plus les moyens de se faire soigner. Il a aussi perdu son travail, qui lui rapportait chaque mois 240 000 francs CFA (environ 360 euros).
Cet ancien employé à la sûreté de l’aéroport international Blaise-Diagne, sympathisant des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), fait partie des quelque 1 000 opposants et militants incarcérés « de façon arbitraire », incarcérés sous le régime du président Macky Sall (2012-2024). La formation politique du président Bassirou Diomaye Faye était jusqu’à son élection, le 24 mars, dans l’opposition. Léon Gnign, lui, avait été interpellé le 15 août 2023 sur son lieu de travail pour avoir critiqué sur les réseaux sociaux la dissolution du Pastef, ce qui lui a valu un placement sous mandat de dépôt pour « offense au chef de l’Etat » et « participation à l’insurrection ».
A l’instar d’Ousmane Sonko, le chef du Pastef aujourd’hui premier ministre, et son ancien bras droit Bassirou Diomaye Faye, devenu chef de l’Etat, tous deux emprisonnés durant plusieurs mois en 2023 et 2024, il a bénéficié de la loi d’amnistie décrétée à la mi-mars, en pleine crise politique, par Macky Sall pour toutes les personnes incarcérées pour des crimes et délits liés aux manifestations entre 2021 et février 2024.
Comme de nombreux militants du Pastef, Léon Guign attend des aides des nouvelles autorités, en reconnaissance de sa participation à leur combat politique. Cent jours après l’arrivée au pouvoir des deux leaders, « nous avons le sentiment d’être oubliés », déplore-t-il. Quelques semaines après son arrivée au palais présidentiel, le président Faye avait demandé au gouvernement de créer une commission d’indemnisation des victimes des violences politiques incluant aussi les familles des personnes décédées durant les manifestations – au moins 60, selon Amnesty International.
Espoir
D’après le compte rendu du conseil des ministres, cette commission devait « s’atteler dans les meilleurs délais à identifier les victimes et à procéder à l’évaluation des préjudices ainsi qu’à la prise en charge effective des blessés en cours de traitement ». Trois mois plus tard, cette commission n’a toujours pas été mise en place, déplore le Collectif des victimes du régime de l’ex-président Macky Sall.
Ces dernières semaines, l’espoir a cependant été nourri par la réception par le président, le 4 juillet, des recommandations des assises nationales de la justice, censées réformer un secteur en crise. La réorganisation du Conseil supérieur de la magistrature – qui nomme les juges sur proposition du ministre de la justice et est présidé par le chef de l’Etat ; la limitation du nombre de détenus par cellule ; ou la création d’une fonction de « juge des libertés et de la détention » ont été annoncées. Mais la situation inhérente aux anciens détenus n’a pas été évoquée.
Unanimes, ces derniers et leurs soutiens veulent toutefois aller plus loin qu’une simple réparation financière. C’est la mesure qui avait été actée en 2012 lors des manifestations contre la candidature à un troisième mandat du président Abdoulaye Wade. Mais, selon Alioune Tine, fondateur du cercle de réflexion Afrikajom Center et expert indépendant des Nations unies pour les droits humains, elle a conduit à une forme d’impunité. « En ne tournant cette page qu’avec ces réparations pécuniaires, les violences se sont répétées une décennie plus tard, en pire », estime-t-il, prônant la mise sur pied d’une « commission vérité, réparation et réconciliation » pour que les responsabilités des auteurs soient établies.
« Il faut abroger la loi d’amnistie », estime de son côté Moussa Sarr, avocat de plusieurs centaines de prisonniers politiques : « Ce texte a certes permis de faire sortir des détenus de prison, mais il permet aussi aux commanditaires des crimes et délits d’échapper à la justice. » « L’abrogation n’a jamais été à l’ordre du jour », reconnaît un conseiller du premier ministre, Ousmane Sonko. Avant d’assurer que « tous ceux qui ont participé de près ou de loin à ces situations d’injustice paieront ».