Il était environ 22 heures, mardi 9 juillet, lorsque des militaires cagoulés et des individus en civil ont débarqué chez Oumar Sylla, à Conakry. Plus connu sous le surnom de « Foniké Menguè », ce militant est le coordinateur national du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), un mouvement de la société civile critique de la junte au pouvoir en Guinée, dirigée par le général Mamadi Doumbouya.
Il a été arrêté avec Mamadou Billo Bah, responsable des antennes et de la mobilisation du collectif, et Mohamed Cissé, un autre de ses membres. Ce dernier a été libéré le lendemain et présente « des traces de violences physiques, notamment des côtes cassées », affirme Abdoulaye Oumou Sow, responsable de la communication du FNDC.
Selon lui, Oumar Sylla et Mamadou Billo Bah auraient quant à eux d’abord été conduits à la Direction centrale des investigations judiciaires de la gendarmerie, à Conakry, puis dans un camp militaire sur l’île de Kassa, au large de la capitale. « Ces interpellations extrajudiciaires violent toutes les procédures. Oumar Sylla et Mamadou Billo Bah sont exposés à de graves dangers », s’inquiète M. Sow. Les autorités guinéennes n’ont toujours pas reconnu leur détention ni révélé le lieu où se trouvent les deux figures du FNDC.
L’arrestation des deux militants « intervient quelques jours seulement après l’appel à une mobilisation citoyenne, le 11 juillet, pour le rétablissement des médias suspendus [plusieurs radios et télévisions privées se sont vu retirer leur agrément le 22 mai] et contre la détérioration des conditions de vie des Guinéens », explique au Monde M. Sow. La veille, Oumar Sylla avait appelé sur les réseaux sociaux à porter des vêtements rouges pendant cette manifestation pour « protester contre la fermeture des médias et la cherté de la vie ».
Le coordinateur du FNDC avait déjà été arrêté à plusieurs reprises sous le régime d’Alpha Condé (2010-2021) puis celui de Mamadi Doumbouya. En juillet 2022, il avait été incarcéré, avec d’autres militants, pour « manifestation illicite et destruction d’édifices publics et privés » à Conakry. Il avait été libéré en mai 2023 et blanchi de toute accusation. De son côté, Mamadou Billo Bah avait été arrêté en février 2023 pour « complicité de destruction d’édifices publics et privés, coups et blessures volontaires » durant d’autres manifestations. Il avait été libéré après quatre mois de détention et acquitté de toutes les charges pesant sur lui.
Un général mort en détention
Le FNDC a été créé en 2019 pour s’opposer à un troisième mandat de l’ex-président Alpha Condé, rendu possible grâce à une modification controversée de la Constitution. Il s’est ensuite rapidement positionné contre le régime de transition militaire présidé par Mamadi Doumbouya, auteur d’un putsch contre Alpha Condé en septembre 2021. Malgré sa dissolution officielle, décrétée par les autorités en 2022, le FNDC est l’une des dernières plateformes d’opposition interne à la junte de Doumbouya et continue de plaider pour un retour des civils à la tête du pays.
« Depuis plusieurs mois, les autorités guinéennes intensifient leur répression de la dissidence pacifique avec la suspension d’organes de presse, des restrictions d’accès à Internet et la répression brutale de manifestations, qui a entraîné la mort d’au moins 47 personnes au 22 avril 2024 », indique le dernier rapport d’Amnesty International. Contactées par Le Monde, les autorités guinéennes n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretien.
Pour M. Sow, l’objectif de la junte est clair : « Se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible en muselant la société civile, les médias et toute voix discordante au sein de l’armée ». Et de rappeler la mort en détention, en juin, « dans des circonstances mystérieuses », du général Sadiba Koulibaly, l’ancien chef d’état-major de l’armée et ex-numéro deux de la junte. Il avait été condamné à cinq ans de prison ferme pour « désertion et détention illégale d’armes ».
Mardi 16 juillet, les avocats du barreau de Guinée ont commencé une grève de deux semaines contre « les arrestations arbitraires » dans leur pays. Leur préavis de grève court jusqu’au 31 juillet, date à laquelle le tribunal de Conakry doit rendre son jugement dans le procès du massacre du 28 septembre 2009. Dans un communiqué commun, plusieurs organisations de la société civile ouest-africaine, dont Y’en a marre, AfricTivistes et Article 19, dénoncent les arrestations arbitraires et les atteintes aux libertés fondamentales en Guinée.
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Le 11 juillet, le député sénégalais Guy Marius Sagna a directement interpellé la délégation guinéenne au Parlement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) : « On parle d’au moins 47 morts […] Est-ce qu’on a sanctionné les personnes qui ont commis ces crimes ? Parce que si on ne les sanctionne pas, vous mêmes qui êtes assis ici, frères et sœurs de Guinée, vous êtes en sursis. » Une intervention qui n’a pas manqué de faire réagir le ministre guinéen des transports et porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, qui a qualifié, sur le réseau social X, ces propos d’« inadmissibles » et portant « atteinte aux institutions du pays ».
Quant à Mary Lawlor, rapporteuse spéciale de l’ONU pour les défenseurs des droits humains, elle s’est dite « très préoccupée » et a demandé la libération des deux leaders du FNDC. Enfin, Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise, a appelé à une intervention de l’Etat français, « lourdement engagé avec le pouvoir en place » en Guinée, afin d’obtenir leur remise en liberté.