Voilà bientôt quatre ans que la junte dirigée par le colonel Assimi Goïta a pris le pouvoir au Mali. Quasiment la durée d’un quinquennat d’un président élu, rappellent opportunément les opposants qui osent encore s’exprimer. Depuis qu’ils ont renversé le président Ibrahim Bouboucar Keïta en août 2020, les putschistes ont reporté à plusieurs reprises l’élection présidentielle censée ramener les civils au pouvoir.
Alors forcément, quand plusieurs indices laissent penser que les militaires envisagent d’enfin organiser le scrutin, ceux-ci attirent l’attention. Certains observateurs ont ainsi vu dans la levée de la suspension des activités des partis politiques, mercredi 10 juillet, puis dans la rencontre organisée par l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE) avec leurs représentants, lundi à Bamako, les signes d’un possible enclenchement du processus électoral.
L’instance, créée en 2021, leur a fait part des avancées techniques réalisées pour organiser le scrutin. « Mais l’AIGE n’a proposé aucune date et a renvoyé la balle dans le camp du gouvernement, alors que c’est une de ses prérogatives de lui proposer un calendrier », regrette Amadou Koïta, le président du Parti socialiste-Yeleen Kura. Son représentant et ceux des autres partis signataires de la « Déclaration du 31 mars », une coalition d’opposition, ont quitté la réunion avant son terme après avoir « présenté [à l’AIGE] leur décision de boycotter » les discussions tant que ne seront pas libérés les onze dirigeants incarcérés depuis le 20 juin pour « opposition à l’exercice de l’autorité légitime ».
Comme eux, des dizaines d’opposants et acteurs de la société civile critiques de la junte ont été arrêtés ces derniers mois. Mais le musellement des voix contestataires n’empêche pas la multiplication, depuis le début de l’année, des appels à organiser l’élection présidentielle initialement prévue en février 2022.
« Guerre froide »
Pour légitimer son maintien au pouvoir bien au-delà d’une ultime promesse faite à la communauté internationale de le rendre en février 2024, le régime de transition a organisé un « dialogue intermalien » en mai. A son issue, les participants ont recommandé la prolongation de la transition « de deux à cinq ans ». Qualifiées de « mascarade » et boycottées par l’essentiel des partis, ces nouvelles assises nationales, après celles organisées fin 2021, ont aussi préconisé qu’Assimi Goïta se porte candidat lors de la prochaine présidentielle.
« Pour l’instant, on ne prend pas le chemin d’une élection libre et indépendante », déplore l’ancien ministre Housseini Amion Guindo. Le président du parti Convergence pour le développement du Mali (Codem) reste « sceptique sur la volonté des autorités d’organiser un scrutin équitable et transparent » et attend les semaines à venir pour « connaître leurs intentions réelles ».
Davantage que sur l’échiquier politique, c’est au cœur de la junte que se joue l’organisation de la course à la magistrature suprême. Plusieurs sources diplomatiques et politiques rapportent depuis plusieurs mois l’existence d’une rivalité entre le colonel Assimi Goïta et le colonel Sadio Camara, ministre de la défense, considéré comme le numéro deux du régime et le premier relais de Moscou à Bamako.
« Goïta ne fait pas l’unanimité. Il est en guerre froide avec Camara. Depuis des semaines, chacun essaie de couper un maximum de têtes dans le camp adverse », affirme un opposant sous le couvert de l’anonymat. Illustration de cette tension interne à la junte, Lamine Seydou Traoré, intime du colonel Camara et ancien ministre des mines et de l’énergie, a été incarcéré en janvier et est aujourd’hui poursuivi pour des détournements présumés de fonds aux côtés de dirigeants de la société publique Energie du Mali (EDM).
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Depuis, les deux officiers réunis par le putsch d’août 2020 s’observent, conscients que leurs sorts respectifs dépendent en grande partie de l’unité qu’ils maintiendront, au moins en façade. « Ils ne s’entendent pas, mais, jusqu’à présent, le régime tient. Le premier à dégainer risque d’y laisser des plumes », rapporte une source diplomatique occidentale au Sahel.
La classe politique, elle, ne se fait pas d’illusions et sait que le scrutin présidentiel a peu de chance d’être organisé sans un accord préalable entre les militaires au pouvoir. « Le destin de notre pays est lié à celui de la junte. Pour l’heure, on est dans l’impasse », glisse l’opposant politique cité plus haut.
« Union sacrée »
En attendant une éventuelle résolution de ce conflit entre galonnés, Assimi Goïta s’efforce d’apparaître comme le candidat naturel du régime. Ses derniers déplacements ressemblaient à ceux d’un candidat en campagne. Son meeting « géant » organisé à Sikasso (sud) le 22 juin fut pour lui l’occasion d’appeler « tous les Maliens » à l’« union sacrée » autour de son autorité. En parallèle, le colonel président a inauguré plusieurs infrastructures attendues par les populations – un viaduc, un stade et un échangeur routier – et annoncé le lancement d’une campagne de distribution gratuite de 30 000 tonnes de céréales.
Assimi Goïta cultive aussi son image de chef de l’Etat en se rendant à l’étranger. Lui qui n’était sorti qu’une fois du Mali depuis son arrivée à la présidence, en 2021, pour participer au sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg en juillet 2023, a enchaîné deux déplacements entre fin juin et début juillet.
Au Burkina Faso d’abord, où il est venu afficher le 25 juin sa solidarité avec son homologue putschiste et cadet, le capitaine Ibrahim Traoré, dont le régime tanguait après une nouvelle attaque meurtrière contre l’armée burkinabée. « Nos destins sont liés. On a pris un chemin de non-retour », a alors déclaré le colonel Goïta.
Quelques jours plus tard, le 6 juillet, il s’envolait pour Niamey afin de participer au premier sommet des chefs d’Etat de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), nouvelle organisation régionale créée en septembre 2023 par les juntes malienne, burkinabée et nigérienne. Auréolé de son statut de « grand frère » des putschistes sahéliens, il a symboliquement été désigné premier président en exercice de l’AES. Il a également rencontré la diaspora locale, passage souvent obligé pour tout dirigeant voulant soigner sa cote de popularité.
Celui qui a ouvert le bal des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest sera-t-il le premier à tenter de poser un vernis démocratique sur son pouvoir en organisant une élection présidentielle ? A Bamako, beaucoup ne doutent plus de la volonté du colonel de troquer son treillis pour le costume de président. Avec toutefois un délai incompressible : depuis qu’il l’a fait changer, en 2022, la loi électorale stipule qu’un militaire doit quitter l’armée au plus tard quatre mois avant le scrutin pour pouvoir se porter candidat à la magistrature suprême.