Au Kenya, l’empire économique et politique de Mama Ngina Kenyatta, « la fille du village »

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Elle aurait presque des airs d’écolière, sur cette photo noir et blanc prise en 1961. Une chemisette claire, des cheveux très courts, un sourire enfantin. Lui, enveloppé dans une veste de cuir sombre, la couvant du regard, a la barbe grisonnante. Ngina Kenyatta a 28 ans, son mari, Jomo, frise les 70. Voilà déjà une décennie que la jeune femme a été mariée à ce leader du mouvement pro-indépendance du Kenya. Ils viennent du même district de Gatundu, des vallons fertiles plantés de maïs, de bananiers et de caféiers, au cœur du pays des Kikuyu, la première communauté ethnique de cette colonie britannique. Lorsqu’elle quitte son village pour devenir sa quatrième épouse, elle est à peine majeure, n’a pas fait d’études, ne parle ni anglais ni swahili, seulement leur kikuyu natal.

Aujourd’hui, « Mama Ngina », comme tout le monde l’appelle, est une vieille dame d’une puissance incomparable en Afrique de l’Est. A 91 ans, elle a beaucoup gardé de sa grande beauté et de son influence politique, mais elle a aussi bâti un véritable empire économique. Elle et ses enfants ont fondé Brookside, le numéro un kényan des produits laitiers, dans lequel a investi le géant français Danone.

Les Kenyatta sont aussi le deuxième actionnaire d’une des premières banques du pays, la NCBA. Au-delà de ces deux fleurons, le clan possède des hôtels, des médias, des écoles privées, de l’immobilier… Leur conglomérat est incontournable, dans une économie kényane figurant pourtant parmi les plus diversifiées et dynamiques d’Afrique.

L’incarnation d’une figure maternelle exemplaire

Le contexte est tout autre quand Ngina et Jomo sont photographiés en 1961. Le Kenya est alors une économie coloniale, centrée sur l’export des ressources agricoles, comme le thé et le café. Rares sont les locaux autorisés à y tenir des commerces. Le pouvoir britannique affronte, depuis une décennie, une rébellion armée, celle des Mau Mau, qu’il a violemment réprimée avant d’accorder plus de droits. Soupçonné d’y appartenir, Kamau wa Muigai – qui se fait appeler Jomo Kenyatta (« le javelot flamboyant du Kenya ») – a passé des années en prison et vient d’être libéré. Ngina elle-même a, un temps, été incarcérée.

Son destin bascule en 1964, lorsque Jomo devient président de la nouvelle République du Kenya. Elle a beau être la quatrième épouse, c’est elle qu’il choisit comme première dame. Dans les cérémonies officielles, elle est une hôte élégante, son visage parfait rehaussé de coiffes altières. Avec le « père de la nation », qui s’est éloigné de ses deux premières femmes et dont la troisième est morte en couches, elle aura quatre enfants : deux filles (Wambui et Nyokabi) et deux garçons (Uhuru et Muhoho).

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