Pour maintenir sa stratégie de réduction du déficit public, que Bercy qualifie d’« ambitieuse mais crédible », le gouvernement cherche à faire des économies tous azimuts. Et prévoit de s’attaquer à un mastodonte de la dépense publique : la fonction publique. En France, avec un travailleur sur cinq (21 %) travaillant pour l’État, la masse salariale publique s’élevait en 2022 à 327,7 milliards d’euros, en y incluant les cotisations sociales.
Cela représente 21,4 % de la dépense publique et 12,4 % du PIB. Ce taux est l’un des plus élevés d’Europe. Parmi nos voisins, seul le Danemark fait mieux avec 28 % de sa population active qui travaille pour l’État et 13,7 % du PIB consacré à la masse salariale publique. L’Allemagne, de son côté, y consacre entre 7 % et 8 % de son PIB, quand la moyenne européenne se situe à 10,1 %, selon les chiffres d’Eurostat publiés par le site de référence des finances publiques, Fipeco. Il faut toutefois noter qu’outre-Rhin « les hôpitaux sont presque tous hors de ce champ bien qu’ils soient largement financés par des dépenses publiques », précise François Ecalle dans une note consacrée à la masse salariale publique sur son site Fipeco.
« Lever le tabou »
Alors que l’exécutif a annoncé, mercredi, que 10 milliards d’économies supplémentaires seraient nécessaires pour maintenir les prévisions de réduction du déficit en 2024, la question est sur toutes les lèvres : y a-t-il trop de fonctionnaires ? Stanislas Guerini, le ministre de la Transformation et de la Fonction publique, a jeté un pavé dans la mare, mardi. « Je veux qu’on lève le tabou du licenciement dans la fonction publique », a-t-il déclaré dans une interview au Parisien.
Le ministre a ouvert, mardi matin, les concertations avec les syndicats sur sa réforme pour « l’efficacité de la fonction publique ». Elle devrait être présentée en conseil des ministres à l’automne. Le statut de fonctionnaire « n’a jamais expliqué qu’on ne pouvait pas licencier quelqu’un qui ne fait pas bien son travail », a indiqué, mercredi, le ministre sur France Inter, jugeant que le licenciement pour « insuffisance professionnelle » – pourtant permis par le Code de la Fonction publique – « est très mal défini et surtout extrêmement mal appliqué ».
Seuls treize fonctionnaires ont été licenciés pour ce motif en 2022 dans la fonction publique d’État, qui en compte 2,5 millions, pointe le ministère. Cette même année, seuls 222 agents ont subi une révocation pour faute. « On a des sureffectifs flagrants dans l’administration. Il y a des gains de productivité à aller chercher sans dégrader le service apporté », a estimé le même jour Patrick Martin, le président du Medef, sur RMC.
Rémunération au mérite et transformation des catégories
Pour transformer la fonction publique, le ministre prévoit d’accentuer le poids de la rémunération au mérite dans le salaire des fonctionnaires. Il entend aussi revoir les catégories administratives A, B et C qui régissent les différents corps de fonctionnaires, selon les informations des Échos. Selon le ministre, ce système « met des plafonds de verre ». « Il y a une étiquette liée aux diplômes qu’il est très difficile de décoller », a-t-il déclaré sur Sud Radio, le 22 mars.
Enfin, l’exécutif veut aussi s’attaquer au temps de travail des agents publics. Selon les informations de L’Opinion, le ministre de la Fonction publique a demandé à tous les ministères de préparer, d’ici à la fin de l’année, un plan pour que tous les agents publics respectent la durée minimale de 35 heures de travail annuel, soit 1 607 heures.
Sur une année complète, les agents publics (hors enseignants) travaillent 1 606 heures en moyenne, contre 1 699 heures pour les salariés du privé, cet écart s’expliquant par le plus grand nombre de congés octroyés aux fonctionnaires. En tout, 200 000 agents ne seraient toujours pas aux 35 heures, estime le ministère.
De leur côté, les syndicats accueillent cette réforme avec frilosité, craignant qu’elle ne leur soit imposée « d’en haut » sans que leurs revendications puissent être entendues. Pour Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonction publique, le ministère ne pose pas le bon diagnostic. Sur les 35 heures, « je ne dis pas qu’il n’y a pas des agents qui ne font pas 35 heures. Mais pourquoi ? C’est souvent parce qu’ils sont en horaires décalés. Comme on n’a pas les moyens de payer plus les horaires de nuit, elles sont compensées en temps », estime la syndicaliste. « C’est dans la fonction publique qu’il y a le plus de personnes qui travaillent la nuit, le soir ou les week-ends », ajoute-t-elle.
Mylène Jacquot rappelle par ailleurs que « la rémunération au mérite, ça existe déjà dans la fonction publique à travers l’avancement, qui peut être plus ou moins rapide, et les parts variables dans les primes ». « Maintenant, peut-être que ce n’est pas suffisamment utilisé mais est-ce que c’est vraiment efficace ? » s’interroge la secrétaire générale Fonction publique du syndicat réformiste. « Il faudrait accompagner les cadres, que les critères soient précis… Et puis il y a plein d’endroits où c’est difficile de faire la différence. Est-ce qu’il ne faudrait pas plutôt reconnaître la dynamique de service ? » questionne-t-elle. Sans compter que cela risque « de dégrader les ambiances, et, ça, les usagers le sentent ».
Problème d’attractivité
Enfin, ces pistes n’évoquent pas le fond du problème, selon Mylène Jacquot, à savoir le manque d’attractivité de la fonction publique. Entre 60 000 et 70 000 postes sont actuellement vacants dans le secteur public. Selon la CFDT, les salaires devraient être la priorité ainsi que l’amélioration des conditions de travail. Ces deux dernières années, les fonctionnaires ont obtenu des revalorisations du point d’indice – qui sert au calcul des rémunérations – de 3,5 % en 2022 et 1,5 % en 2023. Mais cela reste inférieur à l’inflation estimée à 5,2 % en 2022 et 4,9 % en 2023, déplorent les syndicats.
De son côté, la CGT Fonction publique a réagi en déposant un préavis de grève du 15 avril au 15 septembre, soit pendant la période des Jeux olympiques (du 26 juillet au 11 août). Le bras de fer ne fait que commencer.