En Afrique du Sud, les défenseurs de l’environnement dépassés par le braconnage de plantes

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Lieu secret, photos interdites. Quelque part au Cap, en Afrique du Sud, d’immenses serres abritent des milliers de pièces à conviction. Entre les murs vitrés de ces entrepôts, ni pistolet ni couteau ensanglanté, mais des plantes, souvent petites, parfois minuscules. Sur leurs pots sont agrafées des étiquettes blanches en plastique. Elles comportent un numéro faisant référence à une affaire judiciaire. Des centaines sont en cours. Car toutes ces plantes ont été illégalement récoltées avant d’être saisies par la police.

Entreposer ces plantes recherchées expose leurs gardiens aux braquages. Les journalistes qui écrivent sur le sujet sont priés de ne divulguer aucune localisation et de ne fournir aucun nom précis de plante susceptible de tenter les malfrats. Un guide du bon comportement invite le reporter à ne pas s’épancher sur le caractère mignon et extraordinaire des plantes pour ne pas en faire un objet séduisant. Les défenseurs de l’environnement n’ont pas besoin de publicité : s’ils acceptent de parler à la presse, c’est pour alerter sur le pillage en cours.

Plus de 1,1 million de plantes ont été saisies en Afrique du Sud depuis 2019, selon les estimations de l’Institut sud-africain de la biodiversité (Sanbi). « Les saisies de 2020, 2021 et 2022 sont faramineuses. On est passé de 22 000 interceptions par an à environ 300 000. Et on a peut-être saisi seulement 25 % de ce qui a vraiment été récolté », déplore Emily Kudze, une scientifique qui étudie le commerce illégal des succulentes, des plantes grasses adaptées aux climats arides ou océaniques.

Elle émet une hypothèse sur l’origine de cette recrudescence : « Avant 2019, des collectionneurs internationaux venaient directement dans le pays pour suivre des tours floristiques dans le Karoo, [une zone aride] très connue pour ses floraisons au printemps, et ils faisaient des prélèvements – ce qui est autorisé avec un permis. Puis le Covid-19 est arrivé et les voyages internationaux ont été interrompus. Ces mêmes collectionneurs se sont liés d’amitié avec des locaux, à qui ils ont demandé de cueillir des plantes pour eux. Et on a commencé à voir des locaux ramasser des sacs et des sacs de plantes… »

Pépinières illégales

La pandémie a fait se rencontrer deux mondes. Celui de cueilleurs appauvris, non contraints par le confinement, et celui d’une classe moyenne enfermée dans des appartements et à la recherche de petites plantes exotiques. Celles-ci sont récoltées dans des zones reculées où le taux de chômage est élevé (43 % dans la province du Cap-Nord au premier semestre 2024) et où le Covid-19 a renforcé la précarité des habitants.

Entre ces deux univers, ce sont des écosystèmes qui disparaissent dans une certaine indifférence. « Pour le grand public, le braconnage des plantes semble dérisoire, on se dit : “Ça va, il y a plein de plantes, elles vont repousser.” Mais ces plantes sont endémiques d’endroits extrêmement précis. Si vous les retirez, elles disparaissent pour toujours. Et ce n’est pas seulement la plante qui disparaît, mais aussi le petit insecte qui en dépendait », met en garde Emily Kudze, qui décrit un effet ricochet venant s’ajouter au changement climatique et aux destructions environnementales causées par le secteur minier.

Les plantes sont cueillies dans une zone qui s’étend sur deux provinces sud-africaines, jusqu’à la frontière avec la Namibie. Elles sont ensuite envoyées au Cap, où des intermédiaires stockent la marchandise dans des maisons, prennent les commandes et exportent les colis par les airs. Le travail de la police consiste à monter des barrages routiers, à récolter du renseignement et à lancer des raids sur ces maisons transformées en pépinières illégales. L’ONG Endangered Wildlife Trust a entraîné trois chiens renifleurs pour aider la police à inspecter les véhicules arrêtés sur les barrages routiers.

L’ampleur des saisies témoigne de l’échelle de ce trafic. Quatre serres ont été construites dans le Karoo et à la frontière avec la Namibie pour recueillir les arrivages. « Ces saisies occupent tout notre temps, souffle Werner Voigt, conservateur du jardin botanique de Kirstenbosch, au Cap. Il y a une différence entre conserver des cornes de rhinocéros ou des défenses d’éléphant, que vous gardez dans un entrepôt, et des plantes, qui ont besoin d’attention. Ça demande du personnel compétent avec des connaissances. On n’a pas été préparé à ça. » Et cette immense collection n’est même pas exposable tant que les affaires judiciaires sont en cours.

« Pieds d’éléphant »

Ce sont les Conophytums, une famille de succulentes, qui sont les plus ramassés. En avril 2022, une cargaison de 23 000 plants a été découverte à l’aéroport du Cap, cachée dans des emballages pour jouets à destination de la Chine. L’Asie du Sud-Est est le premier marché pour ce commerce illégal. Mais tous types de plantes sont braconnés, comme les géophytes (plantes à bulbes), les aloès et « tout ce qui est artistique, exotique, qui vit longtemps et qui est séduisant », observe Werner Voigt. A l’image des « pieds d’éléphant » (Dioscorea elephantipes) dont le nom dit tout de l’intérêt esthétique de la plante.

« Les cibles ne cessent de changer », soupire Werner Voigt. En témoignent les plants de clivias et d’euphorbes récemment saisis. Les plantes interceptées sont endémiques d’une certaine réserve naturelle d’Afrique du Sud. « Il y a beaucoup de monde de ce côté en ce moment », explique Elbe Cloete, conservateur environnemental pour CapeNature, l’agence de protection de l’environnement de la province du Cap-Occidental. Grâce au renseignement et aux surveillances, 19 personnes ont été arrêtées et 28 300 plants saisis entre mai et juillet.

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Que deviendront ces végétaux ? « Il n’y a aucun modèle qui nous dit comment faire, regrette Werner Voigt. Les réintroduire nous expose aux risques de véhiculer une maladie et de perturber la répartition géographique de ces plantes, car on ne sait pas précisément d’où elles viennent. Notre plus grand défi, c’est de gérer ces volumes de confiscation. Pour nous, c’est une charge de travail et de stress supplémentaire. »

A l’autre bout de la chaîne, la vente en ligne est surveillée par l’ONG Traffic. Elle aussi se sent désarmée face à la complexité du marché. « C’est très difficile d’agir contre un site privé », admet la scientifique Dominique Prinsloo, surtout quand celui-ci est hébergé à l’étranger. De plus, les plateformes fournissent très peu d’informations sur l’origine des plantes. « Les pépinières ne sont pas honnêtes avec leurs clients, dénonce la cheffe de projet de Traffic. L’industrie doit commencer à être plus transparente. »

Les revendeurs pourraient ainsi préciser si la plante a été cueillie avec un permis, indiquer lequel, donner le nom du fournisseur et signaler que la plante n’a pas été prélevée dans la nature. Des questions que les clients doivent se poser et qu’ils peuvent soumettre au vendeur avant d’acheter.

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