Au Sénégal, les paris sportifs en ligne sur la sellette face à une jeunesse de plus en plus « accro »

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« Cette jeunesse est consciente. » Tel est le commentaire formulé par le premier ministre Ousmane Sonko alors qu’il rapportait, lors d’un discours à Dakar le 30 juillet, avoir été interpellé par un jeune de 23 ans « sur les ravages que les jeux de hasard causent dans la jeunesse et notamment sur les effets de la publicité ». Un commentaire flatteur à l’adresse de cet étudiant « conscient » alertant sur une nouvelle addiction aux effets délétères.

Le sujet des jeux de hasard a vite été évincé dans la presse sénégalaise par la polémique sur le port du voile à l’école lancée par le premier ministre le même jour. Pourtant, sur les réseaux sociaux, il continue de nourrir les échanges. Le succès des paris sportifs suscite un début de mobilisation. Seydina Oumar Diagne a 26 ans. Après avoir vu de nombreux amis jouer avec toujours plus d’appétit, il décide de lancer un compte sur X en février au titre clair : « Non aux paris sportifs ». Depuis, il a reçu des centaines de témoignages. « C’est à peu de chose près toujours la même histoire : des gens qui commencent à parier sur des applications mobiles, perdent le contrôle, et surtout perdent de l’argent », raconte-t-il.

« Parfois, ça va plus loin, avec des jeunes qui se lancent dans la délinquance pour payer les paris ou éponger des dettes… », explique Seydina Oumar Diagne. Il précise que les profils des joueurs qui lui écrivent sont souvent proches : des hommes, jeunes. Parmi les messages qu’il reçoit, nombre trahissent le désarroi. « Je travaille depuis plus d’un an, mais impossible d’épargner… je prie que Dieu me donne la force d’arrêter » implore l’un. « Je suis fatigué, j’ai envie de recommencer ma vie à zéro » dit un autre.

Toujours plus connectée

Au Sénégal, le marché des paris sportifs a explosé avec l’installation durable au cours des dix dernières années de géants mondiaux qui proposent aux joueurs des « shops » (locaux) physiques où ils peuvent jouer, mais surtout de parier en ligne sur des matches de football au moyen d’applications mobiles. Premier Bet, 1XBet, 22Bet… A Dakar, les publicités pour ces entreprises fleurissent. Le continent africain est considéré par les spécialistes du secteur du pari sportif comme un marché prometteur avec sa jeunesse toujours plus urbaine et connectée. L’agence Bloomberg relaie des estimations de la société d’analyse H2 Gambling Capital selon laquelle, entre 2013 et 2023, la valeur des paris en ligne avait été multipliée par cinquante à travers le continent pour atteindre les 2,6 milliards d’euros environ.

La Loterie nationale sénégalaise (Lonase), chargée de la régulation des jeux de hasard et de l’octroi des licences aux bookmakers qui s’installent dans le pays, déclarait en 2022 un chiffre d’affaires record de 266 milliards de francs CFA. Cette année-là, elle lançait Lonase Bet, sa propre plateforme de pari en ligne.

Seydina Oumar Diagne parvient à fédérer autour de lui et de son compte aux milliers d’abonnés une petite communauté de résistants à la vague. Il explique que de plus en plus d’internautes interpellent directement sur les réseaux sociaux les sportifs qui prêtent leur image aux entreprises de paris, à l’instar des deux anciens de la sélection nationale de football Khalilou Fadiga et El-Hadji Diouf. « Leur aura leur confère une responsabilité, ils doivent en prendre conscience », tranche-t-il.

Les autorités ne restent pas totalement insensibles. La Lonase a conclu ces dernières années deux conventions avec le Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar (Cepiad), afin notamment de pouvoir rediriger vers son numéro vert les joueurs « accros » qui s’adressent à elle.

Boom des applications

Oumar Mamadou Samba est psychiatre au Cepiad. Comme beaucoup de ses confrères, il plaide pour un contrôle plus strict du secteur. Il constate une augmentation des visites depuis cinq ans environ, période de boom des applications mobiles de paris. « Des jeunes, amenés par leurs proches, leur épouse… » Le médecin explique : « Il faut étudier les pratiques et cibler la jeunesse avec des messages clairs. Je reçois des jeunes persuadés de pouvoir générer des revenus réguliers grâce aux paris. Il faut des campagnes sur ce sujet par exemple. »

Le secteur des paris est aussi rattrapé par des affaires judiciaires. Le 4 août, le directeur général de Premier Bet Sénégal a été arrêté à l’aéroport international Blaise-Diagne de Dakar (AIBD). Quelques jours auparavant, des employés de l’entreprise lancée dans le pays en 2013 recevaient un message Whatsapp de leur direction qui annonçait une cessation de l’activité. Depuis, ils se rassemblent à Dakar pour exiger des explications. Abdoulaye Cissé, l’un d’eux, tonne : « Nous étions plusieurs centaines à travailler pour eux, certaines indemnités n’ont pas été versées… Alors que je peux vous assurer : je gérais un “shop”, un point de pari physique au marché Dior de Dakar, on faisait un argent fou ! » La société doit 12 milliards de francs CFA aux impôts (18,3 millions d’euros).

Un employé de Lonase concède de manière anonyme : « Entre les sujets de la publicité en direction de la jeunesse et celui des revenus des entreprises étrangères, qui sont énormes, nous nous attendons à des changements légaux dans les temps à venir. Tous les pays du monde régulent toujours plus les paris. »

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