Le gros-porteur blanc floqué du drapeau russe a atterri mercredi 10 avril à l’aéroport de Niamey, filmé par les caméras des médias d’Etat russes. Plongé dans le noir de la nuit nigérienne et sous le vacarme assourdissant des réacteurs de l’avion, le reporter de l’agence de presse russe RIA Novosti commente l’arrivée des premiers militaires de l’Africa Corps dans le pays, une centaine d’hommes qui signent officiellement le rapprochement entre Moscou et la junte dirigée par Abdourahamane Tiani.
« Cela signifie que la Russie revient en Afrique », dit-il, même si Moscou est déjà présent de la Libye au Soudan, du Sahel à la Centrafrique. Après le Mali et le Burkina Faso, le troisième pays sahélien à être dirigé par des militaires putschistes assume encore un peu plus son appartenance au camp pro-russe en Afrique de l’Ouest.
L’arrivée de l’Iliouchine Il-76 a été révélée vingt-quatre heures plus tard par la télévision d’Etat nigérienne, qui précise qu’il avait à son bord « du matériel militaire de dernière génération et des instructeurs du ministère de la défense » chargés notamment d’installer un « système de défense antiaérien ». Diffusant des images du chef de la junte, le média d’Etat précise que cette arrivée fait suite à un entretien téléphonique « historique » entre Abdourahamane Tiani et Vladimir Poutine, le 26 mars. Le dernier signal en date d’un intense rapprochement entre les deux pays.
Appel du pied
Redouté par les Occidentaux, ce virage se dessinait depuis fin 2023. En décembre, Niamey accueillait pour la première fois un responsable russe en la personne du puissant vice-ministre de la défense, le colonel général Iounous-bek Evkourov. Les deux pays avaient alors signé un « protocole » secret-défense pour le « renforcement de la coopération » sécuritaire. Un mois et demi plus tard, le chef du gouvernement nigérien de transition, Ali Mahamane Lamine Zeine, à la tête d’une importante délégation ministérielle, avait effectué une visite en Russie avant de se rendre en Turquie, en Iran et en Serbie.
En mars, les félicitations flagorneuses du chef de la junte nigérienne à Vladimir Poutine pour sa « brillante réélection » et son « éclatante victoire » à la présidentielle – sans adversaire de poids, le dirigeant russe s’est octroyé un cinquième mandat avec 87 % des voix – sonnaient comme un appel du pied. « Le Niger, qui mène une lutte historique pour sa souveraineté et son développement, sait pouvoir compter sur votre engagement personnel et celui de la Fédération de Russie pour réussir son combat », poursuivait le communiqué nigérien.
« L’arrivée de l’Africa Corps au Niger marque la poursuite soutenue de l’expansion de la Russie dans la région, adossée à l’institutionnalisation de l’Alliance des Etats du Sahel [AES, une nouvelle entité qui regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger], sur laquelle Moscou exerce une influence significative, analyse le chercheur Maxime Audinet, spécialiste de l’influence russe à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (Irsem). On assiste à l’incarnation de la présence russe post-Evgueni Prigojine au Sahel, orchestrée par le renseignement militaire russe (GRU) et le ministère de la défense, qui tentent de reprendre la main sur l’héritage de Wagner en Afrique. »
Mort en août 2023 dans le crash de son avion, le patron de la société paramilitaire russe, qui avait été l’artisan de l’expansion de Wagner en Afrique, s’était félicité du putsch au Niger en juillet. Dans un enregistrement audio diffusé sur les réseaux sociaux, on l’entendait saluer la chute du président « pro-français » Mohamed Bazoum, ce qui n’était selon lui « rien d’autre que la lutte du peuple nigérien contre les colonisateurs qui essayent de lui imposer leurs règles de vie ». A Niamey, les manifestants qui se réjouissaient du renversement de Mohamed Bazoum – toujours séquestré par la junte huit mois et demi plus tard – brandissaient des drapeaux aux couleurs de la Russie.
« Marché de dupe »
L’AES est désormais l’une des aires d’influence privilégiées de Moscou en Afrique. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger, trois pays en proie aux groupes djihadistes et désormais aux mains de putschistes, ont annoncé leur sortie de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et ont tous rompu leurs alliances avec la France, avant de conclure des partenariats militaires avec la Russie, censés leur permettre de mieux lutter contre le terrorisme. Une promesse qu’ils ne parviennent pas à atteindre pour l’instant : dans chacun des pays, le nombre d’attaques et de victimes croît ces derniers mois.
Selon Maxime Audinet, « le Niger semble à ce stade s’acheminer sur la voie burkinabée, marquée par la formation militaire et la constitution d’un modèle de garde prétorienne appuyé par un dispositif d’influence informationnelle chargé de protéger et de légitimer la junte », plutôt que sur le déploiement de militaires sur le terrain pour lutter contre les attaques terroristes, comme au Mali.
Avant d’accueillir les soldats russes, le Niger avait tour à tour rompu les liens avec ses principaux partenaires occidentaux. Avec la France d’abord, dont la junte avait exigé le départ des 1 500 soldats et de l’ambassadeur dès sa prise de pouvoir. Les Etats-Unis, malgré leur ton bien plus conciliant, ont fini par être également priés de quitter le pays.
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Le 16 mars, Niamey a estimé que la présence américaine était « illégale » et dénoncé « avec effet immédiat » l’accord de coopération militaire passé avec Washington en 2012. Un « marché de dupe », ont renchéri les putschistes dimanche 7 avril. Washington doit désormais fermer la base d’Agadez, où sont stationnés des drones et 1 100 militaires essentiellement chargés de missions de renseignement et de surveillance.
L’Allemagne compte toujours une centaine de soldats au Niger, engagés dans la formation des forces spéciales. Environs 300 militaires italiens se trouvent également dans le pays au titre de la coopération bilatérale. En novembre, Niamey a mis fin à sa principale coopération avec l’Union européenne (UE) en abrogeant la loi de 2015 sur le trafic de migrants. L’augmentation des migrations vers l’Europe via le Niger est immédiatement repartie à la hausse. Une raison de plus d’inquiéter l’UE et un moyen de pression supplémentaire pour Niamey dans son bras de fer contre les Occidentaux.