Entre Équinoxe TV et le pouvoir camerounais, une guerre éternelle

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« J’ai échappé à un enlèvement dimanche [11 août] dernier à Douala. Le lendemain, ils étaient dans les alentours d’Équinoxe pour tenter un autre coup », dénonce Aristide Mono sur Meta, ce samedi 17 août. Le chroniqueur camerounais affirme en substance être constamment sous surveillance. Un an plus tôt, le 29 mai 2023, maître Fabien Kengne, un avocat camerounais, avait été brutalement arrêté par des agents de la Sécurité militaire (Semil) alors qu’il quittait les locaux d’Équinoxe à Douala, avant d’être soumis à un interrogatoire musclé. Point commun : les deux hommes, proches de l’opposition, sont régulièrement invités à l’antenne.

Équinoxe porte-t-elle malheur ? Fondée en 2006 par Séverin Tchounkeu, la chaîne basée à Douala compte parmi les rares médias à tenir tête au pouvoir et ses prises de position gênent quelque peu. Il y a deux semaines, le Conseil national de la communication (CNC), l’organe de régulation placé sous tutelle du gouvernement, a ordonné la suspension de l’émission de débats Droit de réponse pour « faute professionnelle ».


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Ce programme, l’un des plus populaires du pays, diffusé chaque dimanche de 12 heures à 14 heures, est reconnu pour son ton libre et sans concession envers le gouvernement. Le directeur de publication du Groupe Équinoxe TV et le présentateur de l’émission, Duval Fangwa, ont été suspendus pour un mois par le CNC pour avoir diffusé des déclarations présumées non fondées, insinuantes et offensantes lors de l’émission du 7 juillet.

L’ombre de Madeleine Tchuente

Cette suspension fait suite à trois plaintes déposées auprès du CNC, dont certains datent de janvier dernier. La première concernait l’échec du présentateur à recadrer un panéliste auteur de propos potentiellement diffamatoires, la deuxième émanait de Madeleine Tchuente, la ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation (Minresi). Le contenu de la troisième reste inconnu. Si les membres du Conseil ont été unanimes pour reconnaître « les fautes professionnelles » liées à la première plainte et reporter la troisième sine die, leurs avis sont plus partagés concernant la requête portée par Madeleine Tchuente.

Celle-ci estime avoir été injustement accusée de détournement de fonds publics, dans le cadre du Covidgate, par des panélistes en janvier. Durant ce même mois, la Minresi avait exercé un droit de réponse diffusé dans les règles lors de l’émission incriminée. Cependant, insatisfaite, Tchuente a personellement saisi le CNC pour ces mêmes faits. Selon des sources anonymes, le Conseil n’aurait pas dû sanctionner à nouveau la chaîne, celle-ci s’étant déjà conformée aux exigences légales.

Censure et réseaux sociaux

En remplacement, Équinoxe TV a lancé une nouvelle émission, intitulée 237 Le Débat, présentée par Pierre Laverdure Ombang, qui reprend un format similaire à celui de Droit de Réponse. Pourtant, le 12 août, Joseph Chebonkeng Kalabubse, président du CNC, a émis un communiqué ordonnant au PDG du groupe Équinoxe TV de suspendre immédiatement la diffusion de 237 Le Débat, qu’il considère comme un Droit de réponse déguisé. Le dimanche suivant, alors que les téléspectateurs s’étaient mobilisés pour suivre cette nouvelle émission, la chaîne a diffusé une chanson ayant pour slogan : « Équinoxe Télévision, au-delà de l’image, nous rendons compte », accompagné d’une estampille rouge affichant « Censuré ». En solidarité, des milliers d’internautes ont exprimé leur soutien sur les réseaux sociaux.


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Concernant cette nouvelle suspension, des sources dénoncent une grave entorse aux règles professionnelles de l’organe chargé d’assister les pouvoirs publics. Une suspension décidée par le CNC ne devrait pas reposer sur la décision d’une seule personne, même si celle-ci est le président. Une telle décision devrait être prise de manière collégiale. Or, dans ce cas précis, le président du CNC a agi seul, à travers un simple communiqué. Selon l’ONG internationale Mandela Center, qui dispose d’un statut consultatif spécial auprès des Nations unies, c’est en réalité la liberté de ton dont jouit le média qui la place dans le viseur du régime. « Les dirigeants de la chaîne de télévision privée camerounaise basée à Douala Équinoxe TV subissent de sérieuses menaces », souligne un communiqué de l’ONG.

Une fronde historique

Les tensions entre le média de Séverin Tchounkeu et le pouvoir ne sont pas nouvelles. Déjà, en février 2008, la chaîne, basée à Douala, ville souvent perçue comme un bastion de la rébellion anti-Biya, avait été suspendue par Emmanuel Biyiti Bi Essam, alors ministre de la Communication, sous le prétexte qu’elle n’avait pas payé la caution de 100 millions de francs CFA (environ 150 000 euros) nécessaire pour obtenir une licence d’exploitation. Cette décision est survenue quelques semaines après qu’Équinoxe eut diffusé des images d’une manifestation politique contre la révision constitutionnelle au Cameroun, qui a permis au président Paul Biya de se maintenir au pouvoir après 2011 bien que son mandat touchât à sa fin. Les manifestants, venus en masse aux locaux de la chaîne pour exprimer leur soutien, n’ont pas manqué de faire le lien entre ces événements.


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Plus récemment, en mars 2020, la chaîne a de nouveau fait l’objet de controverses après avoir relayé un rapport de Human Rights Watch sur le massacre de Ngarbuh, ce qui a conduit à des accusations et menaces de la part de Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale. Séverin Tchounkeu s’était défendu avec force. Il avait notamment réfuté les accusations selon lesquelles il dirigerait une « radio milles collines » non républicaine et incitant à la haine. Le gouverneur du Littoral, Samuel Ivaha Diboua, a également accentué la pression en accusant la chaîne « d’incitation à la révolte populaire ». Devant ces accusations, le CNC avait reçu des instructions directes de la présidence pour fermer Équinoxe TV, une décision qui aurait pu marquer la fin de la chaîne.

Des affaires tragiques

La suspension récente de Droit de réponse  s’inscrit dans un climat politique de plus en plus tendu, marqué par un contrôle renforcé de l’espace public par le pouvoir à l’approche de l’élection présidentielle. Quelques jours avant la décision du CNC du 8 août 2024, des réunions au sommet de l’État avaient été organisées, impliquant Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, René Emmanuel Sadi, ministre de la Communication, et Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale.

Lors d’une conférence de presse, les autorités avaient prévenu les médias contre tout discours susceptible de menacer « l’ordre public ». Le préfet du département de Mfoundi, Emmanuel Mariel Djikdent, les a prises au mot. Le 16 juillet, il a signé un arrêté interdisant de séjour dans son ressort territorial de commandement « toute personne appelant à un soulèvement contre les institutions de la République, outrageant dangereusement ces institutions ou leurs représentants, ou entreprenant des actions susceptibles de troubler gravement l’ordre public ».

La situation d’Équinoxe TV, qui détenait la première audience du Cameroun en 2020, devant TV Novelas et TV5 Monde, s’inscrit dans un contexte plus large de répression des médias dans le pays. Ce climat est marqué par des affaires tragiques, telles que l’assassinat du journaliste Martinez Zogo en janvier 2023. De nombreux autres journalistes ont été arrêtés, intimidés ou forcés à l’exil. Cette répression systématique place le Cameroun dans la « zone rouge » en matière de liberté de la presse, selon le classement de Reporters sans frontières (RSF).

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