Depuis qu’il est passé à l’électrique, Dagim Girma ne patiente plus de longues heures dans les interminables files de voitures dans les rues d’Addis-Abeba, qui indiquent généralement l’entrée de stations essences fréquemment victime de pénuries de gasoil. « J’économise du temps et je ne paie plus de carburant », résume le trentenaire, qui a suivi les orientations du gouvernement éthiopien en acquérant une voiture électrique début 2024.
En janvier, le ministère des transports et de la logistique a pris une décision radicale en prohibant toute importation de véhicules essence et diesel. Ce faisant, il contraint les conducteurs éthiopiens à se convertir à l’électrique. Une première mondiale qui a de quoi surprendre, un habitant sur deux n’ayant pas accès à l’électricité en Ethiopie. Derrière cette réglementation drastique, « il s’agit avant tout d’une stratégie économique », précise Yizengaw Yitayih, expert au sein du ministère. « Le décret doit d’abord nous aider à rationaliser nos dépenses en devises étrangères », explique le haut fonctionnaire.
Confronté à une grave pénurie de devises, le pays de 120 millions d’habitants cherche à diminuer sa dépendance aux importations d’essence, qui s’élevaient en 2023 à plus de 6 milliards d’euros, selon les chiffres de l’administration. « Imposer aux Éthiopiens de passer aux voitures électriques permet au gouvernement de faire d’une pierre deux coups : diminuer ses importations de carburant et introduire une politique environnementale progressiste », décrypte Samson Berhane, un analyste indépendant basé à Addis-Abeba.
Le premier ministre Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix 2019, s’efforce de longue date de se bâtir une image de défenseur de l’environnement. Il mène de vastes campagnes de reforestation à marche forcée, promettant notamment de planter 5 milliards d’arbres en 2024. Il a aussi inauguré en 2022 le grand barrage de la Renaissance sur le Nil, le plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique, qui génère aujourd’hui 1 550 mégawatt-heures (MWh) d’électricité et 5 000 MWh à terme. M. Ahmed tient donc à mettre à profit cette électricité à la fois verte et bon marché, estimée dix fois moins chère qu’en France. Mais s’il s’est empressé d’interdire l’importation de véhicules essence et diesel, le chef du gouvernement ne semble pas avoir préparé son pays à l’afflux massif de voitures électriques.
Un pays « pas préparé à cette transition »
« C’est une décision prématurée, estime Samson Berhane. Le pays n’est pas préparé à cette transition. Il n’y a qu’une borne de recharge publique et seulement deux garages spécialisés dans tout le pays. » Un bien maigre inventaire. Les pièces de rechange restent quasiment introuvables. Les chauffeurs, livrés à eux-mêmes, doivent se débrouiller. Certains s’arrangent pour acheminer par leurs propres moyens des batteries en provenance des pays du Golfe. D’autres consultent des tutoriels vidéos sur Internet pour bricoler leurs véhicules. « A cause de l’absence de réglementation, on voit beaucoup d’automobiles de marques chinoises parfois inconnues, pour lesquelles il est encore plus difficile de trouver des pièces détachées », assure l’analyste.
Il vous reste 40.17% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.