Treize ans après l’ouverture de l’enquête du bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) en Côte d’Ivoire, la justice internationale a annoncé aux autorités ivoiriennes, mercredi 18 septembre, la fermeture de son antenne abidjanaise d’ici au « milieu de l’année 2025 ».
Un départ acté alors que sa mission est inachevée, mais motivé par des considérations budgétaires et par un « appui opérationnel limité [qui] ne justifie plus qu’une présence soit maintenue sur le terrain », selon la délégation envoyée à Abidjan depuis La Haye. Toutefois, selon cette dernière, la fermeture de ce bureau de la CPI ne devrait pas compromettre la poursuite de l’enquête ouverte en octobre 2011 sur les crimes commis après l’éclatement de la guerre civile, en septembre 2002, et qui ont culminé lors de la crise post-électorale de 2010-2011.
Le bilan de la CPI en Côte d’Ivoire est pour le moins contesté. Le procès de l’ancien président Laurent Gbagbo et de son ministre de la jeunesse Charles Blé Goudé, poursuivis pour crimes contre l’humanité, s’est achevé par un acquittement en première instance en 2019, confirmé en appel en 2021. Quant aux forces ralliées à Alassane Ouattara, elles n’ont pas été poursuivies. Ce retrait pourrait néanmoins présager de la conclusion de la deuxième phase des travaux de la CPI, qui, dans son budget annuel, assure « être en mesure » de donner « des résultats tangibles » en 2025.
Si tel était le cas, le bureau du procureur pourrait ordonner des poursuites contre d’anciens membres de la rébellion des Forces nouvelles (FN) et des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), alliées au président Ouattara, et éviter ainsi l’accusation d’une « justice à deux vitesses », comme le mentionne Eric Semien, président de l’Observatoire ivoirien des droits de l’homme. « Les 3 000 morts de 2011, ce n’est pas dans un seul camp », dit-il, redoutant de nouvelles violences politiques alors que se profile une élection présidentielle fin 2025.
« Coup dur »
« La CPI aurait dû retarder son départ », estime pour sa part Lacina Kanté, le président de la Confédération des organisations des victimes des crises ivoiriennes (Covici). Selon lui, la présence effective de la cour est « un instrument dissuasif ». Lors de la dernière élection présidentielle, en 2020, les autorités ont fait état de 85 morts et plus de 500 blessés.
Même si plus d’une décennie s’est écoulée depuis les violences de 2010-2011, le départ du greffe de la CPI et la fin de son programme du Fonds au profit des victimes, qui a touché plus de 8 000 personnes en quatre ans, suscitent des doutes et des inquiétudes du côté des associations concernées. En théorie, cette décision n’a aucune incidence sur les suites de l’enquête du procureur, mais « c’est un coup dur, un mauvais message envoyé aux milliers de victimes, qui ont l’impression d’être abandonnées », juge Lacina Kanté. Selon lui, plus de 19 000 civils sont morts en raison du conflit commencé en 2002.
Du côté du gouvernement, le retrait de la CPI est en revanche un motif de satisfaction. Mercredi lors d’une conférence de presse, son porte-parole, Amadou Coulibaly, a déclaré que « si le bureau de la CPI estime qu’il a fini sa mission ici et qu’il doit fermer, nous ne pouvons que nous en réjouir : cela montre bien que nos juridictions nationales marchent bien et ont pris la place ».
Pour l’heure, la justice ivoirienne n’a condamné pour des crimes contre l’humanité qu’un seul cadre des forces qui ont combattu pour l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara, quand Laurent Gbagbo refusait de concéder sa défaite dans les urnes. Il s’agit d’Amadé Ouérémi, condamné en 2021 à la prison à perpétuité pour son rôle dans les massacres de la ville de Duékoué (ouest), en mars 2011. Plus de 800 habitants avaient été tués. Mais il n’était qu’un chef milicien, subalterne du commandant rebelle Losseni Fofana. Ce dernier, inculpé en 2015, n’a jamais été jugé, tout comme un autre « com’zone », Chérif Ousmane, l’un des protagonistes de la bataille d’Abidjan, en avril 2011.
Réconciliation
Comme 800 autres, les deux officiers ont bénéficié de l’amnistie décrétée en 2018 par le président Ouattara au nom de la réconciliation nationale, alors que plusieurs instructions portant sur des accusations de viols, de tortures et autres crimes contre l’humanité étaient en cours. Dans un rapport publié en 2022, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) déplorait ainsi « des procédures à l’arrêt, des responsabilités non clairement établies et des auteurs présumés de crimes de sang qui n’ont rendu aucun compte devant la justice ».
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Pourtant, au regard du droit international et du statut de Rome, ratifié par la Côte d’Ivoire en 1998, l’amnistie ne peut être appliquée aux crimes contre l’humanité. L’ordonnance contreviendrait donc au devoir de l’Etat de rendre justice. Une position qu’essaient de faire valoir la FIDH et des associations ivoiriennes. Elles ont à cet effet saisi la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) pour qu’elle se prononce sur « la compatibilité de cette mesure avec le droit international ».
Treize ans après l’ouverture de son enquête, la CPI s’en va donc avec un dossier qui patine et sans être parvenue à condamner aucun des belligérants. Quelle que soit la décision du procureur concernant les forces pro-Ouattara, une chose semble certaine : « Personne n’ira à la CPI », avait promis le président ivoirien en 2015. Les victimes, elles, attendent toujours des poursuites et des procès qui peut-être ne viendront pas. « Plus le temps passe, moins il y a de dédommagement à espérer de la part de l’Etat ivoirien ou de la cour. On a l’impression que les victimes n’existent plus », regrette le président la Covici.
Pour l’Etat ivoirien, le temps de la justice est révolu. L’heure est à la commémoration ou au pardon. En atteste la grâce présidentielle accordée en février à 51 civils et militaires condamnés pour atteinte à la sécurité de l’Etat, tous proches de Laurent Gbagbo et de l’ex-premier ministre en exil Guillaume Soro.