tunisoises bafouées des années 1930

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« Le Désastre de la maison des notables » (Nazilat dar al-akabir), d’Amira Ghenim, traduit de l’arabe (Tunisie) par Souad Labbize, éd. Philippe Rey/Barzakh, « Khamsa », 494 p., 25 €, numérique 18 €.

Que s’est-il passé en cette nuit de décembre 1935, qui a fait basculer les destinées de deux grandes familles tunisoises, les Naifer et les Rassaa ? Que s’est-il passé entre Zbeida Rassaa, l’épouse de Mohsen Naifer, et celui qui fut avant son mariage son précepteur, l’intellectuel et militant syndical Tahar Haddad ? Que disait la lettre que ce dernier lui fit remettre cette nuit-là par sa servante Louisa ? Comment Zbeida a-t-elle perdu l’usage de ses jambes au cours de cette même nuit ? A ces questions le lecteur n’aura jamais de réponses sûres et certaines. En effet, ces événements, et nombre d’autres qui y sont liés, sont narrés successivement par les protagonistes, membres ou domestiques des deux familles, des années après et dans des circonstances diverses. Chacun les présente à partir de son point de vue, et ­conserve sa part de secret, que ce soit par respect des conventions ou pour préserver son image vis-à-vis de son interlo­cuteur. Ce procédé narratif très élaboré entretient le suspense et pousse le lecteur à dévorer les cinq cents pages de cet excellent roman de l’universitaire tunisienne Amira Ghenim (née en 1978), qui connaît depuis sa parution, en 2020, un large succès critique autant que public en ­Tunisie et au-delà.

Le Désastre de la maison des notables emprunte ses codes à la fois au roman historique (l’intrigue mêle personnages réels et fictifs) et à la saga familiale, avec quatre générations représentées, arbre généalogique à l’appui. Le thème principal est celui de l’évolution des mœurs, particulièrement celles mettant en jeu la place de la femme, dans la Tunisie sous protectorat français, depuis les années 1930. Tel est sans doute le sens de la ­présence, aussi fantomatique qu’emblématique, de la figure de Tahar Haddad (1899-1935) dans ce roman : auteur de Notre femme dans la législation islamique et la société (1930), un essai révolutionnaire qui fit scandale en son temps, Haddad mourut quelques années plus tard dans la misère et l’oubli, mais inspira directement le code du statut personnel promulgué par le président Habib Bourguiba, en 1956, le plus progressiste de tout le monde arabe. Aujourd’hui encore, malgré la régression autoritaire sous l’actuel président, Kaïs Saïed, la Tunisie reste pionnière dans la région en matière de droits des femmes, un des rares acquis de la révolution de 2011.

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