Les actes du docteur Eugène Rwamucyo pendant le génocide des Tutsi devant la cour d’assises de Paris

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En juin 1994 dans la préfecture de Butare, au sud du Rwanda, Eugène Rwamucyo a-t-il dirigé des opérations d’enfouissement de corps de Tutsi et participé à l’achèvement des blessés en vue de faire disparaître des preuves ? Ou a-t-il agi en tant que médecin hygiéniste, dans le cadre « de mesures d’hygiène et d’assainissement », comme il l’a toujours soutenu devant les enquêteurs ? C’est à ces questions et à beaucoup d’autres que la cour d’assises de Paris doit répondre à partir du mardi 1er octobre et le début du procès de ce Rwandais, aujourd’hui âgé de 65 ans.

L’accusé comparait notamment pour des faits de « génocide », « complicité de génocide » et « crimes contre l’humanité » commis au Rwanda au printemps 1994. Eugène Rwamucyo, jugé en France en vertu de la compétence universelle, un principe qui permet à un Etat de juger les auteurs de crimes graves quel que soit le lieu où ils ont été commis, encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

L’affaire fait suite à une plainte déposée en avril 2007 par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), une association qui traque les responsables présumés du génocide des Tutsi qui a fait entre 800 000 et un million de morts. Elle a déjà six procès à son actif en France. A Eugène Rwamucyo, il est reproché, selon l’ordonnance de mise en accusation que Le Monde a pu consulter, d’avoir, notamment au sein de l’université de Butare dans laquelle il enseignait, « organisé des réunions et des tables rondes dont le but était d’inciter la population hutu à la haine et au meurtre des Tutsi ». En cause, en particulier, une rencontre publique le 14 mai 1994 avec le premier ministre Jean Kambanda, où il aurait « relayé le message des autorités à travers des informations extrémistes de propagande anti-tutsi ».

« Un extrémiste hutu de premier plan »

Le génocide avait commencé cinq semaines plus tôt, le 7 avril. Des milliers de cadavres jonchaient les rues de Butare. Devant Jean Kambanda, condamné en 1998 à la perpétuité par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour avoir mis en application le plan d’extermination, M. Rwamucyo a alors déclaré, selon l’ordonnance d’accusation, « dans une tonalité particulièrement belliqueuse que les intellectuels avaient leur rôle à jouer dans la défense civile et la volonté d’aider le gouvernement ».

Versés au dossier, ces propos prouvent, selon Alain Gauthier, le président du CPCR, que l’accusé « est un idéologue, un extrémiste hutu de premier plan ».

Né en 1959 dans le nord-ouest du Rwanda, Eugène Rwamucyo a envisagé de devenir prêtre avant de poursuivre des études de médecine à l’université de Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), en Russie. Investi dans la vie politique de son pays, il est alors président de cellule du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND), le tout-puissant parti au pouvoir du président rwandais Juvénal Habyarimana.

Diplômé en 1989, Eugène Rwamucyo rentre trois ans plus tard au Rwanda où il est engagé à l’université nationale de Butare et affecté au service d’assainissement du centre universitaire. Il rejoint le Cercle des républicains progressistes, un regroupement d’intellectuels extrémistes formé par Ferdinand Nahimana, fondateur de la Radio-Télévision libre des mille collines (RTLM), qui sera condamné en appel en 2007, à trente ans de réclusion par le TPIR, notamment pour « sa responsabilité [dans] les crimes d’incitation directe et publique à commettre le génocide ».

Quelque 750 parties civiles

Eugène Rwamucyo est également accusé, sur la foi de plusieurs témoignages, d’avoir participé à l’ensevelissement de corps. Un acte que cet ancien responsable du service d’assainissement au ministère de la santé a reconnu devant les enquêteurs mais qu’il aurait pratiqué, d’après lui, dans une « perspective d’hygiène (…)  partout où il y avait des cadavres dans la préfecture de Butare », précisant qu’ils « étaient des civils et qu’il n’y avait aucun survivant ».

Le médecin a quitté le Rwanda en juin 1994 alors qu’approchaient les troupes du Front patriotique rwandais (FPR), un mouvement politico-militaire composé majoritairement d’exilés tutsi venus d’Ouganda, qui prendra le pouvoir un mois plus tard et mettra un terme au génocide. Comme des milliers d’autres, Eugène Rwamucyo passe par Goma, au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo). Sa fuite le mène ensuite dans plusieurs métropoles d’Afrique de l’Ouest : Dakar, Abidjan, Lomé…

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C’est par un vol en provenance de Nairobi, au Kenya, qu’il arrive en France en décembre 1999. Sa demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) est rejetée, l’organisme estimant qu’Eugène Rwamucyo « avait vivement incité et encouragé ses compatriotes à participer à l’application du processus génocidaire ». Il obtient toutefois un titre de séjour et s’installe dans l’Essonne. Diplômé de physiologie du travail et d’ergonomie à l’université Paris IV, il intègre le centre antipoison de Paris puis celui de Lille. De 2008 à 2010, il officie en tant que médecin du travail au centre hospitalier de Maubeuge (Nord), mais est renvoyé après le non-renouvellement de son autorisation provisoire de séjour. Le 26 mai 2010, il est interpellé dans le Val-d’Oise lors des obsèques de Jean-Bosco Barayagwiza, le cofondateur de la RTLM, puis incarcéré à la prison de Bois-d’Arcy. Mais en septembre, la cour d’appel de Versailles refuse son extradition vers le Rwanda, qui trois ans plus tôt avait émis un mandat d’arrêt international. M. Rwamucyo est libéré, s’installe en Belgique. Il sera finalement renvoyé dix ans plus tard devant une cour d’assises en France.

Après le rejet de ses pourvois en appel et en cassation, son procès devrait compter 750 parties civiles, dont le CPCR, la Ligue des droits de l’homme et la Licra. « S’il y en a autant, c’est peut-être parce qu’on a été les chercher, avance MPhilippe Meilhac, l’avocat d’Eugène Rwamucyo et d’autres Rwandais poursuivis en France. Je crains que ce procès ne se déroule dans de mauvaises conditions après une instruction qui aura duré quinze années. Mais nous allons montrer que les accusations portées contre mon client sont uniquement liées aux fonctions qu’il exerçait en tant que médecin. » Le jugement est attendu le 29 octobre.

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