les asticots, un substitut qui fait mouche face aux farines animales

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Au nord d’Abidjan, dans la commune d’Abobo, des centaines de milliers d’asticots grouillent dans des grands bacs de béton. Deux tonnes de fruits et légumes pourris leur sont amenées chaque jour en guise de repas. Ils seront ensuite vendus vivants ou séchés pour nourrir poulets, porcs et poissons. Quant à leurs déjections, elles macéreront durant trois semaines et serviront d’engrais naturel.

Voilà les grandes lignes du projet lancé en octobre 2022 par la start-up Bioani, pionnière en Côte d’Ivoire dans la fabrication industrielle de protéines de larves, un substitut à celles de poissons ou de soja déjà utilisées pour nourrir le bétail. Son procédé repose sur les mouches soldats noires, une espèce inoffensive, non invasive et ne vivant qu’un mois.

La production commence dans l’une des quatre volières de la ferme, là où les mouches femelles pondent entre 500 et 700 larves. Celles-ci passent ensuite dans une écloserie, durant cinq à sept jours, avant d’être transférées dans l’un des 35 bacs de grossissement pour l’étape de bioconversion, d’au moins une semaine, pendant laquelle les larves se nourrissent de déchets organiques qu’elles transforment, dans leur corps, en protéines. Environ 4 % d’entre elles rejoindront une volière pour pondre à leur tour. Les autres seront vendues à la centaine d’éleveurs nouvellement convertis à la protéine d’insectes. Bioani produit entre quatre et cinq tonnes d’asticots par mois.

Meilleurs et moins chers que la farine de poisson

Selon son directeur général, Thibault Guille, l’idée de construire une telle usine est partie d’un constat : environ 80 % des quelque 650 000 tonnes de poissons consommées chaque année en Côte d’Ivoire sont importées. En cause, notamment, les difficultés de développement de la filière piscicole, dépendante de la farine de poisson utilisée pour l’élevage, dont le coût reste très élevé (entre 500 et 900 francs CFA – soit entre 0,76 et 1,37 euro – le kilo) et dont la production contribue à la surexploitation des océans. Selon l’ONG Greenpeace, produire un kilo de farine de poisson nécessite cinq kilos de poissons pêchés.

« Plus de 70 % des coûts d’un pisciculteur proviennent de l’alimentation, constate Akian Dieudonné, ingénieur et enseignant-chercheur à l’Institut national polytechnique de Yamoussoukro. En plus d’être moins chère [550 francs CFA – 84 centimes d’euro – le kilo], la farine de larves contient un taux de protéines autour de 50 %, là où il oscille entre 30 et 45 % pour la farine de poisson. »

Les larves pourraient donc avoir leur rôle à jouer dans le développement de l’aquaculture dans le pays, encore embryonnaire mais peut-être plus pour très longtemps. Avec son Programme stratégique de transformation de l’aquaculture en Côte d’Ivoire (Pstaci), le pays ambitionne de produire plus de 500 000 tonnes de produits halieutiques d’ici 2030, soit plus de 80 % de la consommation nationale. Si l’objectif paraît ambitieux, il illustre la volonté du gouvernement de s’affranchir du poisson importé et d’accroître sa souveraineté alimentaire.

Leurs déjections deviennent des engrais

D’autant que les bienfaits des larves ne s’arrêtent pas à leur apport nutritionnel. Leurs déjections, appelées le frass, constituent une matière organique pouvant servir d’engrais naturel. « Le frass est une alternative, ou au moins un complément, aux engrais chimiques responsables de l’appauvrissement des sols. En associant les deux, on obtient souvent de meilleurs rendements », assure Thibault Guille. Bioani en produit plus de huit tonnes tous les mois, là encore à un prix plus compétitif : 6 000 francs CFA – 9,15 euros – les 50 kg de frass contre environ 25 000 francs CFA – 38,12 euros – pour les fertilisants chimiques.

En plus de nourrir les bêtes et de fertiliser les sols, les asticots débarrassent les rues d’Abobo d’une partie de leurs déchets organiques. Tous les mois, ils ingèrent 60 tonnes d’aliments moisis et avariés que l’ONG Sonya est chargée de récupérer aux abords des marchés. De nouveaux agents de recyclage utiles pour un pays où « près de la moitié des fruits et légumes cultivés pourrissent avant d’être vendus », rappelle Thibault Guille. Les déchets deviennent ainsi les nutriments des larves et le futur fertilisant des sols qui nourriront les hommes. Et ainsi de suite, avec une économie circulaire où rien ne se perd et tout se digère.

En Tunisie ou en Afrique du Sud, ce type d’usines d’insectes est déjà bien développé. En Côte d’Ivoire, Bioani n’en est encore qu’à ses débuts. L’entreprise compte accroître sa production et s’étendre dans tout le pays en développant un modèle décentralisé. Avec une idée directrice : confier le grossissement des larves à des acteurs pouvant s’approvisionner en déchets et qui seraient intégrés à un réseau d’agriculteurs. Cette approche low-tech rendrait le processus facilement réplicable. « Un toit et des bacs au sol suffisent », promet le directeur de Bioani.

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