Le dégel attendra. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a écarté samedi, lors d’un entretien télévisé, l’idée d’une visite en France, qu’il a jugée humiliante dans le contexte de relations de nouveau très tendues entre les deux pays. « Je n’irai pas à Canossa », a lancé M. Tebboune, réélu à la présidence le 7 septembre avec 94,65 % des voix. Popularisée par le chancelier allemand Bismarck à la fin du XIXe siècle, l’expression « aller à Canossa » signifie aller supplier un pardon. Elle fait référence à la démarche qu’avait été forcé d’entreprendre au XIe siècle l’empereur germanique Henri IV, qui s’était rendu dans la ville italienne de Canossa pour y implorer le pape Grégoire VII de lever l’excommunication dont celui-ci l’avait frappé.
La visite du président algérien, sans cesse repoussée depuis mai 2023, était dernièrement prévue entre fin septembre et début octobre 2024. Mais les relations entre l’Algérie et la France sont redevenues glaciales après l’annonce, fin juillet, de l’appui de Paris au plan d’autonomie marocain pour le territoire disputé du Sahara occidental. Alger a immédiatement rappelé son ambassadeur en France et a réduit sa représentation diplomatique en ne gardant qu’un chargé d’affaires.
Evoquant la colonisation française (de 1830 à 1962) et la question mémorielle, le président algérien a estimé que « l’Algérie a[vait] été choisie pour le grand remplacement, le vrai grand remplacement », consistant à « chasser la population locale pour ramener une population européenne avec des massacres, avec une armée génocidaire ».
Un « génocide » durant la période coloniale
« Je n’accepte pas les mensonges sur l’Algérie. Nous étions une population d’environ quatre millions, et 132 ans plus tard, nous étions à peine neuf millions. Il y a eu un génocide », a affirmé M. Tebboune. « On demande la vérité historique », a martelé le président algérien, accusant une « minorité haineuse » en France de bloquer toute avancée sur le dossier mémoriel.
Abordant la question des essais nucléaires français en Algérie, M. Tebboune a lancé à la France : « Vous voulez qu’on soit amis, venez nettoyer les sites des essais nucléaires ! » Entre 1960 et 1966, la France a procédé à dix-sept essais nucléaires sur plusieurs sites dans le Sahara algérien. Des documents déclassifiés en 2013 ont révélé des retombées radioactives encore importantes, s’étendant de l’Afrique de l’Ouest au sud de l’Europe.
M. Tebboune a aussi évoqué l’accord franco-algérien de 1968 qui octroie un statut particulier aux Algériens en matière de droits de circulation, séjour et emploi en France. C’est devenu un « étendard derrière lequel marche l’armée des extrémistes » de droite en France, qui cherchent à l’abroger, a-t-il estimé. En décembre 2023, l’Assemblée nationale française avait rejeté un texte demandant aux autorités françaises de dénoncer l’accord.
Signé en 1968, alors que la France avait besoin de bras pour son économie, cet accord écarte les Algériens du droit commun en matière d’immigration. Ils n’ont, depuis, pas de carte de séjour en France, mais des « certificats de résidence ». Ils peuvent s’établir librement pour exercer une activité de commerçant ou une profession indépendante, et ils accèdent plus rapidement que les ressortissants d’autres pays à un titre de séjour de dix ans.