« Le conflit au Soudan constitue la plus grave crise humanitaire au monde »

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Clément Deshayes est anthropologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et membre du laboratoire Pôle de recherche pour l’organisation et la diffusion de l’information géographique (Prodig). Ses travaux portent sur les mouvements de contestation urbains à Khartoum, ainsi que sur les trajectoires des hauts fonctionnaires durant la transition politique au Soudan.

Depuis le 15 avril 2023, les généraux soudanais Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane et Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », se livrent une guerre fratricide. Comment qualifier le conflit en cours au Soudan ?

C’est une guerre de relativement haute intensité. Chacun des deux protagonistes dispose de dizaines de milliers de combattants, d’armement lourd, de drones, d’artillerie, d’obus de mortier, etc. L’armée régulière [forces armées du Soudan, FAS, dirigées par le général Al-Bourhane] utilise des avions de combat. Surtout, les affrontements ont souvent lieu dans les zones urbaines. La capitale, Khartoum, est complètement ravagée : la majorité des ponts qui traversent le Nil sont détruits ou très endommagés ; les hôpitaux, à l’exception d’un ou deux sous contrôle des FAS, sont anéantis, ainsi que la plupart des écoles ; l’université de Khartoum est en ruine… L’essentiel de l’industrie était concentré à Khartoum et à Bahri, théâtre de batailles acharnées. La plupart des entrepôts et des usines ont brûlé.

Une grande offensive a été amorcée par l’armée, le 26 septembre, dans la capitale. Assiste-t-on à un tournant dans la guerre ?

Le déroulement de la guerre au Soudan est lié aux saisons. La stagnation du conflit, observée ces derniers mois, était liée à la saison des pluies. L’an dernier [en 2023], à la même époque, celle-ci avait plutôt profité aux Forces de soutien rapide [FSR, dirigées par le général « Hemetti »], qui avaient pu se réarmer et se réorganiser. Aujourd’hui, c’est l’inverse. L’offensive menée par Al-Bourhane à Khartoum a, pour l’instant, engrangé des gains limités. Mais c’est un tournant dans la mesure où, pour la première fois, l’armée reprend la main, obligeant les FSR à réagir et à se défendre.

Le territoire soudanais est actuellement divisé en deux, contrôlé à l’ouest par les FSR et à l’est par l’armée. Se dirige-t-on vers une partition de l’Etat, dans un scénario comparable à ce qui s’est produit durant la guerre civile en Libye ?

Nous n’en sommes pas là. Les moyens mis en œuvre par l’armée pour désenclaver la ville d’El-Fasher, dans le Darfour du Nord, montrent qu’elle ne veut pas laisser l’entièreté du Darfour aux mains des FSR. De la même manière, l’implication des FSR dans la bataille de Khartoum montre que l’objectif de la guerre demeure le contrôle du centre, de la capitale.

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