Il était temps qu’Abidjan ait sa propre « fashion week ». Dakar a créé la sienne en 2004, Lagos en a une depuis 2011 et Bamako depuis 2015. Pour cette première édition ivoirienne, il a fallu qu’un nom de la mode abidjanaise s’y attelle : Elie Kuame, créateur de mode et directeur artistique de la maison du même nom. Après plusieurs reports depuis 2023, lui et son équipe de 200 personnes sont parvenus à mettre sur pied un événement de quatre jours, du jeudi 10 au dimanche 13 octobre, avec un concours de jeunes talents et une vingtaine de défilés.
Malgré des contraintes financières, le budget de cette première édition est coquet : 316 millions de francs CFA (environ 482 000 euros). Un tiers est financé par la vente de tickets, le reste par des sponsors privés et le ministère ivoirien de la culture. « On a voulu monter quelque chose de professionnel, d’ambitieux mais de maîtrisé », résume Elie Kuame, le front ceint de son habituel bandeau tressé.
La première Abidjan Fashion Week aura été flamboyante. Après une soirée d’inauguration à la très chic boutique Aby Concept, dans le non moins chic Ivoire Trade Center qui jouxte le célèbre hôtel du même nom, les défilés de vendredi et samedi ont été organisés à la galerie d’art de la fondation Donwahi. Dans les coulisses, les vêtements pendus ou jetés à la hâte sur les portants offraient un contraste détonnant avec les œuvres du sculpteur Jems Koko Bi.
Un élitisme assumé
Malgré un retard de deux heures – habituel dans tout événement d’ampleur à Abidjan –, le concours du Jeune Talent, vendredi, a permis à sept « jeunes » stylistes – certains d’un âge respectable mais toujours en début de carrière – de présenter leurs collections. Une sélection hétéroclite mais de qualité : blazers ornés de symboles akan peints en blanc pour Magic Hands, fusion « asian-afro » pour Libali, robes brodées à la main pour Lewa…
C’est finalement le duo ivoirien de Maison Kanty’s qui a remporté le prix Marie-Thérèse-Houphouët-Boigny, du nom de l’ex-première dame. Le jury, où figurait notamment Olivia Yacé, Miss Côte d’Ivoire 2021, en féerique robe bleu pâle, a été séduit par sa collection de robes blanches tressées et frangées.
L’attention était toutefois réservée à la soirée de samedi, où des centaines de spectateurs s’étaient rendus dans le jardin de la fondation. Y assistaient notamment la femme d’affaires Gabrielle Lemaire, compagne du footballeur Didier Drogba, deux reines de beauté nationales et toute la famille Yacé – Jean-Marc, le père d’Olivia, étant maire de la commune de Cocody et partenaire de l’événement. La haute société abidjanaise avait également répondu présente, toute en tenues griffées et joaillerie de luxe.
Car l’événement assume son élitisme, les tarifs des places s’échelonnant entre 60 000 francs CFA (91 euros) pour le seul brunch dominical à Assinie, une station balnéaire à l’est d’Abidjan, et 250 000 francs CFA pour le package de luxe incluant l’accès au concours Jeune Talent, une place au premier rang du défilé et une entrée à l’after party. Pour le rafraîchissement des spectateurs, la seule alternative à l’eau minérale était du champagne à 10 000 francs CFA la coupe, Moët & Chandon étant partenaire officiel de l’événement.
Tous les invités ont semblé sortir ravis, sans tenir rigueur à l’organisation des retards et quelques longueurs de cette première édition, éclipsées par la beauté du spectacle. Un tiers des designers retenus étaient originaires de la sous-région : Talansi de la République du Congo (RDC) avec ses tenues majestueuses en raphia, Teed du Bénin, February by Serwaa du Ghana et son compatriote Kwaku Bediako, qui travaille la toile de jute des sacs de cacao, Emmy Kasbit du Nigeria avec ses costumes « urbain chic » et l’inévitable Adama Paris, créatrice de la Dakar Fashion Week.
Dentelle et coquillages
La dizaine de créateurs ivoiriens n’étaient pas en reste, en particulier la sublime collection d’Ibrahim Fernandez, toute en dentelle noire et coquillages blancs, la ligne de jupes longues pour hommes de Rodrigue Tchatcho inspirée d’une tenue traditionnelle camerounaise, le sandja, et les tenues sportswear chic de MICI. « Nous avons vu énormément de couturiers africains qui nous ont montré de belles choses, s’est réjoui Jean-Marc Yacé à l’entracte. On espère que ce succès sera répété plusieurs années et nous les accompagnerons au maximum de ce que nous pouvons. »
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Inévitablement, c’est la maison Elie Kuame qui a clôturé le spectacle, commençant son défilé par une longue robe jaune portée par Olivia Yacé et finissant par une robe de mariée blanche en mousseline vaporeuse, si serrée que la mannequin devait avancer à petits pas. Le père de l’Abidjan Fashion Week, visiblement ému, a été célébré par des applaudissements nourris, avant que les designers en liesse remontent sur scène pour une ultime salutation.
« C’était vraiment la crème de la crème, s’est félicitée, au milieu de l’effervescence, Adriana Talansi, créatrice de la marque du même nom. On a senti l’ambiance depuis les coulisses, l’emballement du public… Les mannequins étaient motivés, c’était magnifique. J’ai déjà fait des fashion weeks à Londres, à Lagos, à Dakar… mais celle-ci est vraiment ma préférée ! »
Pari réussi, donc, pour cet événement dont l’une des ambitions premières était de « créer un écosystème de la haute couture », selon Elie Kuame, en permettant aux jeunes talents de rencontrer des professionnels du secteur. « Il faut aider les jeunes maisons de couture à sortir de leur atelier, dit-il. Leur donner des outils de marketing, de communication, d’entrepreneuriat… »
L’autre objectif était de « récupérer nos lettres de noblesse », souligne Elie Kuame : « Abidjan a été capitale de la mode en Afrique de l’Ouest entre les années 1960 et les années 1990. Mais nous avons perdu cette position et nous nous sommes refermés sur nous-mêmes. Or la mode est en perpétuelle évolution. C’est en se confrontant à l’excellence qu’on pourra produire de l’excellence. Un jour, vous verrez, des créations ivoiriennes seront vendues dans les boutiques de luxe de New York ou de Séoul. »