Aux Antilles françaises, l’Afrique envisagée comme un monde fait d’opportunités à saisir

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Dans une ancienne école de la commune des Abymes, en Guadeloupe, des femmes et une fillette tournent sur elles-mêmes au son du tambour. Ici, dans le local de l’association Gwajéka, on donne des cours de danse guadeloupéenne. « Le Gwoka [dont le nom recouvre à la fois l’instrument, la musique et la danse] est un monument culturel local qui vient du continent africain », explique Jean-Paul Quiko, président de l’association, qui dédie sa vie à créer des liens entre la Guadeloupe et le Bénin. « C’est un ami qui m’a emmené là-bas. J’ai tout de suite senti une réelle proximité », dit-il.

Comme M. Quiko, ils sont désormais nombreux en Guadeloupe, et plus largement aux Caraïbes, Antilles françaises comprises, à se tourner vers un continent qui apparaît comme un eldorado, un monde fait d’opportunités à saisir. Si les associations culturelles ont toujours revendiqué ce lien, issu de la colonisation, ce sont désormais des cinéastes, des restaurateurs ou encore des entrepreneurs qui s’en saisissent.

« Ce n’est pas qu’un effet de mode, notamment dans les secteurs de l’agroalimentaire et de l’agrotransformation, où des projets liés à la résistance à la vie chère ou à la souveraineté alimentaire fleurissent », analyse Philippe Roquelaure, délégué régional pour le groupe Orange, par ailleurs engagé dans l’accompagnement de jeunes entrepreneurs.

Proximité culturelle

Des pays comme le Togo, le Bénin ou encore la Côte d’Ivoire offrent plusieurs avantages, comme d’importantes superficies cultivables et un climat tropical similaire à celui des Antilles. Certains développent leur prototype de produit dans l’archipel avant d’aller tester le marché ou la production à grande échelle dans des pays africains. La proximité culturelle fait aussi de l’Afrique un vaste marché déjà éduqué aux produits caribéens.

« Les bananes, les ignames, le manioc, les patates douces et d’autres racines que nous consommons ici sont des produits largement consommés sur le continent africain », expliquent Terence Pierrot et Emilie Galbas, qui commercialisent des pâtes alimentaires à partir de tubercules tropicaux et comptent ouvrir prochainement une usine de production en Côte d’Ivoire.

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« Certains pays, comme le Togo, le Bénin ou la Côte d’Ivoire, ont des politiques très attractives pour les investisseurs étrangers, notamment grâce à des mécanismes de défiscalisation ou des aides à l’installation », ajoute Philippe Roquelaure. Le Bénin est même allé plus loin, en adoptant en septembre une loi facilitant l’acquisition de la nationalité béninoise par les afrodescendants. Son président, Patrice Talon, est venu en Martinique en décembre 2023 pour promouvoir ce dispositif, relançant également l’idée d’une liaison aérienne directe entre Fort-de-France et Cotonou.

Refonte du rapport à l’Etat français

En Guadeloupe, le développement et l’entretien des relations avec l’Afrique relève davantage du secteur privé et associatif que des pouvoirs publics. « Ces liens existent notamment grâce à des actions culturelles, comme le carnaval. Cela est probablement porté par les réseaux sociaux, qui rendent davantage visibles certaines thématiques, mais peut-être est-ce dû aussi à un recul des idées assimilationnistes », analyse le chercheur en histoire Joao Gabriel, doctorant aux Etats-Unis.

A travers les territoires ultramarins, la demande d’une refonte du rapport à l’Etat français émerge, tant parmi les politiciens locaux qu’au sein de la société civile. Une tendance observée avec méfiance par les autorités. En 2021, un projet d’école panafricaine hors contrat, portée par l’association Racines, qui défend la nécessité pour les Antillais d’accéder à leur culture africaine, avait demandé à ouvrir en Guadeloupe. Mais le préfet de l’époque avait dénoncé le caractère « séparatiste » de l’école et interdit son ouverture.

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De quoi nourrir des discours radicaux comme celui de Kemi Seba, militant panafricaniste et suprémaciste à la popularité grandissante aux Antilles, en particulier en Guadeloupe. « Lorsqu’il est venu au début de l’année, la salle était pleine à craquer, se souvient Zaka Toto, chercheur en histoire et sciences politiques, cofondateur de La Fabrique décoloniale, une association martiniquaise de réflexion sur le postcolonialisme. Il n’y a plus de mouvement anticolonialiste puissant sur nos territoires, ce qui laisse la place à des personnages comme M. Seba. »

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