Au Nigeria, la mégaraffinerie d’Aliko Dangote tiendra-t-elle ses promesses ?

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En ce mois d’octobre, les stations-service nigérianes ont commencé à vendre de l’essence provenant de la raffinerie du milliardaire Aliko Dangote, située à Lekki, près de Lagos. Rien de plus normal, à première vue, pour une infrastructure dévolue à la transformation de pétrole brut en carburant.

Lire aussi le reportage | Article réservé à nos abonnés Aliko Dangote ou les paris audacieux de l’homme le plus riche d’Afrique

L’affaire est cependant majeure au Nigeria : cette raffinerie, la plus grande d’Afrique et l’une des plus importantes au monde (650 000 barils par jour), qui a démarré avec huit ans de retard, nourrit d’immenses espoirs pour le pays le plus peuplé du continent, confronté à une crise économique qui semble inextricable. A commencer par la promesse de résoudre la contradiction funeste de ce géant aux pieds d’argile : le premier producteur d’or noir d’Afrique était contraint, jusqu’ici, d’importer à grands frais l’essentiel de ses besoins en carburant, faute de raffinerie en état de marche.

Lors d’une cérémonie, mi-septembre, au cours de laquelle 500 premiers camions-citernes ont quitté Lekki, le ministre des finances, Wale Edun, a salué « un événement historique » marquant « la reprise de la marche du Nigeria vers l’industrialisation ». « Aujourd’hui, nous avons franchi une étape importante vers l’autosuffisance énergétique », a assuré cet ancien banquier d’affaires. Depuis des années, les Nigérians espèrent que le complexe pétrochimique va non seulement permettre des prix bas à la pompe, mais aussi mettre fin aux éternelles pénuries de carburant qui occasionnent régulièrement d’interminables files d’attente à travers le pays.

« Monstre »

Depuis sa conception, ce projet fut une aventure homérique. La construction, démarrée en 2016 dans zone marécageuse, a rencontré mille difficultés et retards. En conséquence, le coût a doublé, passant de 9 à 20 milliards de dollars (environ 18,4 milliards d’euros). Aliko Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique, s’est lourdement endetté. « Si j’avais su combien il allait être difficile de monter ce type d’édifice, ce type de raffinerie, je n’aurais même pas commencé », a récemment déclaré à Bloomberg le magnat du ciment, qualifiant ce projet de « monstre ».

Même après le début officiel de la mise en service, graduelle, en 2023, les difficultés ont continué, avec des approvisionnements en brut insuffisants de la part de la compagnie nationale, la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC). En parallèle, l’homme d’affaires, jusqu’ici réputé pour sa proximité avec les gouvernements successifs, a connu d’inhabituels ennuis judiciaires.

Mi-septembre, dans un contexte tendu, Dangote et la NNPC ont finalement annoncé un accord, prévoyant notamment que la compagnie publique, plombée par les défaillances internes et la corruption, s’engage à fournir 385 000 barils par jour de brut local à l’usine (payables en nairas et non en coûteux dollars), de quoi théoriquement couvrir les besoins du pays en essence, localement appelée « PMS ». Dans la foulée, les premiers camions-citernes ont quitté Lekki en grande pompe.

Mais les effets de cette poignée de main ne sont pas encore visibles pour les consommateurs. « Il est trop tôt », affirme Luke Ofojebe, directeur de la recherche de Zedcrest Group, un gestionnaire d’actifs. L’installation, souligne-t-il, n’a pas encore atteint sa pleine capacité, tournant officiellement à « 60 %-70 % ». La direction du groupe évoque une échéance de trois à quatre mois avant de produire suffisamment de PMS pour couvrir le marché local. En attendant, l’approvisionnement du Nigeria continue de reposer largement sur les importations.

Pour l’économiste Adetilewa Adebajo, leur réduction progressive va cependant se montrer rapidement bénéfique. « Nous dépensons 10 milliards de dollars par an en importations et en subventions, donc il s’agit d’une très grosse économie », estime le directeur du gestionnaire d’actifs The CFG Advisory, ajoutant que ce processus, en améliorant la balance des paiements et en allégeant la pénurie structurelle de dollars, aura aussi « un impact sur la monnaie ». Sur fond de réformes, le naira s’est effondré ces dix-huit derniers mois, provoquant une profonde récession et aggravant la pauvreté déjà extrême. En août, au moins 21 personnes sont mortes lors de manifestations contre le coût de la vie.

« Mystère »

A plus long terme, Lekki doit elle-même engranger des dollars : le groupe Dangote compte exporter 56 % de sa production totale de carburants, notamment le diesel et le kérosène (découlant, comme l’essence, du cracking du pétrole brut). Mais Adetilewa Adebajo veut croire qu’à terme, ces produits resteront eux aussi au Nigeria. « L’énergie est ce qui alimente une économie, sans elle vous n’allez pas croître. Vous avez besoin de PMS, mais vous avez aussi besoin de carburant aérien, de diesel, de lubrifiants, etc. Donc l’industrie pétrochimique, comme les plastiques, va croître, les engrais vont croître… Le plus important, c’est que nous remettions notre économie dans la course », plaide-t-il.

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Les espoirs s’amenuisent, en revanche, quant à une éventuelle baisse des prix. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Bola Tinubu, en mai 2023, les Nigérians ont connu des hausses successives, parfois vertigineuses, des prix à la pompe. De 200 nairas, le litre de PMS est passé à près de 1 000 nairas aujourd’hui (soit environ 0,56 euro). En cause, le retrait des subventions aux carburants, une politique vieille de plusieurs décennies que Bola Tinubu, avec le soutien des bailleurs de fonds, s’est engagé à éradiquer.

Or pour Aliko Dangote, pas question de vendre son essence à prix cassé, lui qui joue sa fortune sur ce projet titanesque. « Le retrait des subventions dépend entièrement du gouvernement, pas de nous, a-t-il déclaré, fin septembre, de son éternel ton compassé. Nous devons faire un bénéfice. Nous avons construit quelque chose qui vaut 20 milliards de dollars, donc assurément, nous devons gagner de l’argent. »

Une déclaration en forme de pique lancée à la NNPC, qui, quelques jours plus tôt, affirmait qu’elle serait « reconnaissante d’un quelconque rabais de la part de Dangote Refinery ». La compagnie publique a dans le même temps révélé qu’elle achetait le litre d’essence produit à Lekki environ 900 nairas, ce que le milliardaire a qualifié de « mensonger ». Une information sensible qui continue depuis d’agiter le marché. Début octobre, selon la presse locale, l’association de distributeurs de produits pétroliers Petroan a accusé les opérations de Dangote d’être « enveloppées de mystère » malgré leur caractère crucial pour les Nigérians.

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