« Les autorités doivent sortir de leur silence coupable »

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Vingt-cinq ans après l’assassinat du journaliste emblématique Norbert Zongo, les acquis en matière de liberté de la presse ne sont plus qu’une illusion au Burkina Faso, le pays dit « des hommes intègres ». La situation des journalistes s’est dramatiquement détériorée, les langues critiques se sont progressivement nouées, par peur ou sous la contrainte, et les positions publiques du régime d’Ibrahim Traoré sont devenues celles de nombreux médias.

Le journalisme libre et fiable meurt à petit feu au Burkina Faso. Et quatre de ses représentants sont, selon toute vraisemblance, aux mains des militaires. Les autorités burkinabées doivent sortir de leur mutisme et s’exprimer sur leur sort. Maintenant.

Ce 24 octobre, cela fait désormais quatre mois qu’Atiana Serge Oulon a disparu. Le 24 juin, il était attendu à un procès après une plainte pour diffamations et injures publiques du journal d’investigation qu’il dirige, L’Evénement, contre un militant défenseur du pouvoir. Il ne s’y présentera jamais. Pour cause, une dizaine de membres présumés de l’Agence nationale de renseignements (ANR) ont enlevé le directeur de publication à son domicile au petit matin.

Récompensé à de multiples reprises pour ses enquêtes, ce journaliste d’investigation chevronné est l’un des derniers à travailler sur les questions militaires. En décembre 2022, il a notamment révélé des soupçons de détournement de fonds alloués aux volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des supplétifs civils de l’armée. Une publication ayant provoqué l’ire du chef de la junte.

Enrôlement dans les forces armées

Le 13 juillet, comme chaque matin, les auditeurs de Radio Omega, émettant depuis Ouagadougou, attendent « Le Défouloir » avec impatience. En vain. Cette chronique de cinq minutes, réputée pour son ton satirique et parmi les plus suivies du pays, n’a jamais repris. Alain Traoré, l’animateur de cette lucarne citoyenne teintée d’humour, est porté disparu depuis ce jour. Le journaliste, également directeur du bureau « langues nationales » du groupe Omega Médias, a été enlevé à son domicile par des individus armés et cagoulés se réclamant de l’ANR.

Deux chroniqueurs régulièrement invités sur la chaîne privée BF1, Kalifara Séré et Adama Bayala, connus pour leurs critiques des actions du gouvernement, ont également disparu les 18 et 28 juin à Ouagadougou.

Quelques semaines après la disparition de Serge Oulon, le capitaine Ibrahim Traoré confirmait l’enrôlement d’un journaliste, sans le nommer, dans les forces armées. Une situation unique sur le continent, que d’autres membres de la société civile ont également vécue et dont les conditions sont encore peu documentées.

Ces disparitions forcées de journalistes, confirmées pour au moins l’une d’entre elles, sont le symbole d’une tendance grandissante au Burkina Faso : une répression de la liberté de la presse tous azimuts. Après la mise au ban des organes de presse internationaux, les acteurs des médias locaux sont dorénavant dans la ligne de mire des autorités. Et les conséquences sont importantes : en l’absence de Serge Oulon, L’Evénement, journal de référence, a temporairement suspendu sa parution. De son côté, la chaîne privée BF1 a mis en pause l’émission « 7Infos », dans laquelle Kalifara Séré intervenait régulièrement.

Nous, journalistes et médias du Burkina Faso et d’Afrique de l’Ouest, avec Reporters sans frontières (RSF), appelons les autorités burkinabées à sortir de leur silence coupable.

Les premiers signataires de la tribune : Moussa Aksar : journaliste d’investigation indépendant (Niger). Yacouba Ladji Bama : journaliste d’investigation (Burkina Faso). Stanis Bujakera : correspondant de Jeune Afrique en RDC. David Dembélé : journaliste d’investigation (Mali). Ibrahim Harouna : journaliste et ancien président de la Maison de la presse (Niger). Malick Konaté, journaliste et fondateur de la chaîne d’info en ligne Horon TV (Mali). Issaka Lingani : directeur de publication du journal en ligne L’Opinion (Burkina Faso). Soumana Idrissa Maïga : directeur de publication du journal L’Enquêteur (Niger). Samira Sabou : journaliste indépendante (Niger). Fisayo Soyombo : fondateur de la Fondation pour le journalisme d’investigation (Nigeria).

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