Les réseaux sociaux feront-ils basculer le duel Trump-Harris ?

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Les campagnes électorales américaines donnent souvent l’occasion d’imaginer sinon d’anticiper les tendances que nous pourrions vivre à notre tour lors d’une prochaine échéance électorale en France. En 2024, la campagne entre Trump et Harris semble largement rythmée par les posts relayés sur « les réseaux sociaux » et en particulier sur Twitter devenu X. Comment analyser ce phénomène à quelques jours du scrutin américain ? Peut-on prédire que cela aura un impact sur le vote ?

Depuis la campagne américaine de 2008, date à laquelle ils ont commencé à être fortement sollicités, les « réseaux sociaux » font l’objet de spéculations, d’anathèmes et de fantasmes. Ils sont censés être les vecteurs de la propagation d’arguments fondés ou fallacieux auprès de larges communautés, d’être potentiellement manipulés par des puissances étrangères ou des robots artificiellement intelligents ou encore de démultiplier de façon virale des images ou caricatures des candidats et de leur discours. Si l’on peut observer des traces réelles et concrètes de phénomènes qui ponctuent les mises en scène de la campagne, leur impact réel paraît toutefois nuancé sinon incertain.

« Bulles de filtres »

La mutation des pratiques informationnelles constitue l’un des changements majeurs de notre époque. Selon les dernières données du Reuters Institute Digital News Report, plus de la moitié des 18-24 ans s’informent désormais principalement via les réseaux sociaux, délaissant progressivement les médias traditionnels. Les travaux de Pablo Barberá démontrent que cette transformation affecte non seulement l’accès à l’information mais également la nature même du débat démocratique, créant des espaces de discussion parallèles aux forums traditionnels.

Les analystes, qu’ils soient journalistes ou chercheurs, s’accordent sur l’existence d’un phénomène, depuis une vingtaine d’années, sur la façon dont les électeurs s’informent : le passage du mass media au my media. Le citoyen choisit désormais de s’abonner non plus à un titre de la presse généraliste ou partisane mais à des comptes des personnalités ou de communautés organisées sur les réseaux sociaux.

Le concept de « filter bubbles » (bulles de filtres), théorisé initialement par Eli Pariser, s’est enrichi ces dernières années grâce à de nombreux travaux empiriques. Les études menées par Dominique Cardon à Sciences Po Paris révèlent les mécanismes par lesquels les algorithmes des réseaux sociaux créent ces espaces numériques homogènes. Ces chambres d’écho idéologiques se trouvent renforcées par le phénomène de « biais de confirmation », dont les manifestations en ligne ont été minutieusement documentées par les travaux de Eytan Bakshy de Meta Research. Bien connu en psychologie sociale, ce biais coïncide avec notre tendance à rechercher, interpréter et mémoriser les informations qui confirment nos croyances préexistantes, tout en ignorant ou minimisant celles qui les contredisent.

Les chercheurs Cass Sunstein et Walter Quattrociocchi ont approfondi cette analyse en démontrant comment la polarisation algorithmique conduit à une radicalisation progressive des positions politiques. Leurs recherches mettent en lumière un processus d’auto-renforcement où les opinions extrêmes se trouvent validées et amplifiées au sein de communautés numériques fermées. Ce phénomène facilite également la propagation de désinformation, comme l’ont établi les travaux de David Lazer de la Northeastern University.

Absence de lien causal direct

Une étude majeure du Cevipof, dirigée par Luc Rouban en 2024, apporte un éclairage nuancé sur ces dynamiques. En explorant les impacts de l’utilisation des réseaux sociaux à travers des enquêtes menées en France et dans trois autres pays européens, les auteurs montrent que l’intensité d’utilisation des réseaux sociaux n’a pas d’impact significatif sur la confiance dans les institutions politiques (gouvernement, Parlement). En revanche, l’usage intensif est associé à une critique plus forte du personnel politique. L’étude ne montre pas de lien direct entre l’utilisation intensive des réseaux sociaux et un vote particulier. Les utilisateurs intensifs sont plus susceptibles de s’abstenir que les utilisateurs occasionnels, mais cela ne se traduit pas par un soutien accru aux candidats des extrêmes.

Plus surprenant encore, les utilisateurs intensifs ne présentent pas de tendance de vote particulière, même si leur propension à l’abstention s’avère plus élevée. La radicalisation observée sur ces plateformes apparaît davantage corrélée aux conditions socio-économiques des utilisateurs qu’à leur exposition aux contenus politiques en ligne.

Ces conclusions trouvent un écho dans les recherches de Thomas Fujiwara de l’Université de Princeton. Son analyse économétrique approfondie des données électorales américaines ne permet pas d’établir de lien causal direct entre l’exposition aux réseaux sociaux et les choix électoraux. Ces résultats sont corroborés par les travaux de Deen Freelon de l’Université de Pennsylvanie, qui suggèrent une influence plus complexe et indirecte des plateformes numériques sur le comportement politique.

Amplificateurs de tendances

Une méta-analyse conduite par Jennifer Allen de Stanford montre que les réseaux sociaux fonctionnent principalement comme des amplificateurs de tendances sociopolitiques déjà existantes. Ces travaux mettent en évidence une personnalisation accrue du débat politique et une accélération des cycles médiatiques. Les recherches de Daniel Kreiss soulignent que cette dynamique contribue à la cristallisation des opinions déjà formées plutôt qu’à leur transformation.

Le phénomène des « mèmes » constitue une bonne illustration de ces amplifications en vase clos. Ainsi, lors de la campagne américaine de 2024, des vidéos circulent pour mettre en musique la réplique de Trump sur les « migrants qui mangent des chiens et des chats » et démultiplient les pannes de prompteur, les lapsus et autres grimaces des deux candidats républicains (Biden puis Harris). Ils forment la trace caricaturale de ce qui amuse et conforte dans leur choix les communautés des militants des deux camps.

Si l’impact direct sur le vote apparaît limité, les travaux de Pippa Norris de Harvard révèlent des effets indirects majeurs sur le processus démocratique. Ses recherches documentent par ailleurs une acceptabilité accrue de la violence politique chez les utilisateurs intensifs et une défiance croissante envers les médias traditionnels.

Loin de l’idée d’un débat démocratique fondé sur l’usage souverain de la raison et de l’échange contradictoire, il s’avère que les opinions politiques initiales sont renforcées, et polarisées plus encore par les réseaux sociaux. On le voit en ce moment aux États-Unis, où ces réseaux servent à confirmer le bien que l’on pense de « son » candidat et le mal que l’on pense de « l’autre », quel que soit le caractère outré ou la véracité douteuse des éléments mis en ligne…

Débat permanent

En définitive, contrairement à ce que l’on peut lire régulièrement dans la presse, les études scientifiques convergent pour suggérer que l’influence des réseaux sociaux sur les comportements électoraux s’exerce davantage par des mécanismes indirects que par une manipulation directe des votes. Ces réseaux laissent, pour la petite ou la grande histoire, des marqueurs de leur temps par l’intermédiaire d’images ou de vidéos éphémères. Que les médias traditionnels (télévision, radio, presse…) commentent désormais en permanence les controverses et polémiques nées en ligne marque un changement de paradigme sur la manière de dire la politique.

Les réseaux sociaux sont the new place to be pour bien des candidats, avec l’assurance de renforcer leur base, et les opinions de celle-ci. L’usage des réseaux n’impacte pas directement les choix électoraux même si sa consultation assidue par les observateurs et les militants donnent à voir chaque campagne comme un véritable spectacle de « storytelling ». Celui-ci entretient l’illusion que tout s’y joue en négligeant les mécanismes plus profonds et complexes qui induisent un comportement électoral.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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