Cinq hommes sont alignés devant un mur. Pieds nus, les mains en l’air. Ils ont à peine le temps de supplier leurs bourreaux qu’ils s’effondrent sous le feu d’une rafale d’arme automatique. Leur sang forme une tache sombre qui s’étend sur le sol sablonneux. « Voilà ce qu’il se passe au Darfour. Ils leur ont demandé s’ils étaient de l’ethnie masalit avant de les tuer », lâche Abdoulrashid Adam, en refermant son téléphone.
Les exécutants portent l’uniforme des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », qui depuis un an, affrontent l’armée régulière soudanaise pour le contrôle du pays, sans merci pour les civils.
Dans le chaos qui règne au Soudan, impossible d’enquêter ni d’établir un bilan précis du nombre de victimes. Le seul disponible, établi par l’ONG Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled), évoque 15 000 morts, mais les chiffres pourraient être en réalité trois fois plus élevés.
Les déplacés comme M. Adam sont plus de 8 millions selon l’ONU qui suspecte que des crimes contre l’humanité sont commis au Darfour. Les Etats-Unis et l’Union européenne s’accordent à dire qu’un « nettoyage ethnique » est en cours. Les rescapés, eux, n’hésitent pas à parler de « génocide » visant la communauté masalit, l’ethnie non arabe majoritaire dans la zone.
Les FSR, qui ont massivement recruté parmi les milices janjawids, littéralement « démons à cheval », déjà accusées de génocide au début des années 2000 au Darfour par les Etats-Unis, sont désignées comme les premières responsables des violences. A l’époque, Abdoulrashid Adam avait déjà dû fuir pour éviter la mort. Le voici de nouveau réfugié au Tchad voisin. Vingt ans plus tard, la terreur se diffuse sur les messageries WhatsApp.
« Ils filment eux-mêmes leurs crimes avant de les poster sur les réseaux, poursuit l’enseignant, car ils sont fiers de ce qu’ils font. » La mémoire de son téléphone est un véritable catalogue de l’horreur : on y trouve des piles de cadavres, des femmes en train d’êtres violées, des personnes enterrées vivantes… Les vidéos sont si nombreuses qu’il doit supprimer les plus anciennes pour faire de la place aux nouvelles.
« Remplir les fosses communes »
« Autant de preuves qui disparaissent ! », soupire Abdelmoneïm Juzur, un jeune avocat soudanais lui aussi réfugié au Tchad. Originaire de Khartoum, il a quitté la capitale pour documenter les violences perpétrées au Darfour, avant d’en être à son tour victime. « Dans notre fuite, nous avons dû traverser la rivière. Les FSR nous ont surpris et mitraillés depuis le pont qui surplombe la vallée. Il pleuvait des balles, l’eau était rouge de sang, ceux qui ne savaient pas nager se sont noyés. Ils nous appelaient à l’aide, mais il n’y avait rien à faire. Encore aujourd’hui j’entends leurs cris », relate-t-il.
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