C’est sans doute le conflit le plus dévastateur du moment, mais il passe largement sous les radars de la diplomatie, des médias et des protestations populaires. La guerre civile au Soudan, à laquelle Le Monde consacre une série exceptionnelle de huit articles, a probablement causé la mort de plus de 150 000 civils du fait des bombardements et des massacres, de la famine et des épidémies qui s’ensuivent. Elle a obligé 13 millions de personnes, soit près d’un habitant sur quatre, à fuir de chez elles. Nos reportages décrivent dramatiquement le calvaire des populations civiles, singulièrement des femmes, prises entre les feux d’un conflit absurde entre les deux généraux qui, en 2021, avaient renversé ensemble le gouvernement de transition démocratique, réduisant à néant les acquis du soulèvement populaire de 2019 marquant la chute de la dictature islamiste d’Omar Al-Bachir.
Depuis dix-huit mois, les forces armées du Soudan (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah Al-Bourhane, et les milices paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), menées par le général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », ont entraîné le pays de 49 millions d’habitants dans une spirale de violence dont personne n’entrevoit le dénouement. Les ressorts de cette guerre apparaissent sociaux – le ressentiment à l’égard des élites qui ont accaparé le pouvoir depuis l’indépendance, en 1956 –, claniques et ethniques. Les miliciens des FSR sont les successeurs des janjawids, issus des tribus arabes nomades de l’ouest du pays, qui ont participé, voilà vingt ans, au génocide visant les populations noires du Darfour.
Rivalités internationales
Le conflit est aussi alimenté par les rivalités internationales qu’attisent les atouts du pays. Le Soudan est l’un des principaux producteurs africains d’or et il possède une large façade sur la mer Rouge, point de passage majeur du commerce mondial. Tandis que l’armée régulière bénéficie du soutien de l’Egypte, de l’Arabie saoudite, de l’Iran et désormais de la Russie, les milices FSR reçoivent des armes des Emirats arabes unis.
Si l’offensive engagée depuis la fin septembre par les FAS leur a permis de regagner du terrain dans la capitale, Khartoum, aucune issue militaire n’est en vue. Les hommes du général « Hemetti » – qui ne participe pas lui-même aux combats – contrôlent plus d’un tiers du pays et se livrent à des atrocités d’un degré inégalé. Rien, dans l’actuel rapport de force, ne permet d’envisager que l’un des belligérants puisse reconquérir la totalité du pays. L’éventuelle chute d’El-Fasher, la capitale du Darfour qu’ils assiègent, leur donnerait le contrôle de cette région vaste comme la France et poserait la question de l’unité du pays.
De fait, le conflit est entré dans une phase de guerre totale dont les civils paient le prix fort. Le long cauchemar des Soudanais, ponctué de bombardements aériens, de massacres, de viols, d’épidémies, de deuils, sur fond de crise humanitaire, doit cesser. Cela suppose de bloquer le flux continu d’armes qui alimente les protagonistes et de reprendre le chemin de la médiation, abandonné en octobre.
Mais les pressions internationales qui, seules, peuvent ramener le Soudan sur la voie de la paix exigent elles-mêmes que les opinions publiques cessent d’accepter que ce pays soit abandonné à son sort. Il est courant de citer l’Ukraine et le Proche-Orient comme les deux guerres en cours les plus préoccupantes. La moindre des choses serait de ne pas oublier celle qui ravage le Soudan.