Au Soudan, le front invisible de la faim, arme de guerre qui « tue à petit feu »

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A quatre mois d’intervalle, Selwa Zakaria a perdu ses deux filles, fauchées par la faim. La petite dernière, âgée de 1 an et demi, est morte dans les bras des médecins quelques heures après sa prise en charge à l’hôpital Al-Shuhada de Bahri, au nord de Khartoum, la capitale du Soudan. Revenant pour une consultation, sa mère erre, hagarde, devant les portes du service nutrition. Sa silhouette fluette, drapée d’une tunique bleue, semble flotter dans le hall bondé.

Sur des rangées de chaises, des corps fantomatiques patientent. Des os enveloppés d’une fine couche de peau. Le temps semble suspendu tant leurs mouvements sont lents. Un vieillard au visage décharné porte les mains sur ses tempes. On dirait des feuilles séchées, aux nervures saillantes, qu’un geste brusque pourrait déchirer. Ses lèvres bougent mais aucun mot ne s’en échappe. Avant de tuer, la faim avale les paroles.

Autour, les médecins s’activent. Ils sont épuisés. « Les patients nous arrivent dans un état critique. Côté maternité, c’est la catastrophe. Les mères n’ont rien à manger, ne font plus de lait. Elles nous apportent des bébés qui sont proches de la mort », constate la pédiatre Fatima Haroun, 27 ans, qui n’a « jamais vu une telle calamité ».

La pédiatre Fatima Haroun, 27 ans, lors d’une consultation avec un enfant souffrant de malnutrition à l’hôpital Al-Shuhada, au nord de Khartoum, le 27 octobre 2024. La pédiatre Fatima Haroun, 27 ans, lors d’une consultation avec un enfant souffrant de malnutrition à l’hôpital Al-Shuhada, au nord de Khartoum, le 27 octobre 2024.

Chaque enfant passé dans son service pèse une plume. Un bébé de 9 mois est placé sur la balance. « A peine 6 kilos. Tour de bras de 7,5 centimètres. » La limite de sécurité est fixée à 13,5 centimètres. Au-dessous de 11,5, l’enfant est considéré en danger de mort. « Le maximum qu’on ait reçu faisait 12,5 centimètres ! », s’alarme la pédiatre. Quelques kits de lait en poudre et de pâte à base de cacahuètes lui ont été livrés. Elle doit rationner. Les quantités infimes « ne font que repousser le problème » – un sursis de quelques jours.

L’aide arrive au compte-gouttes

Une semaine plus tôt, Fatima Haroun a reçu une famille qui, pour tout repas, diluait du limon du Nil dans l’assiette avec un peu de farine et de l’eau. Elle éclate en sanglots : « C’est une famine de niveau 1, rien d’autre. Personne ne se rend compte de la gravité des cas que nous recevons ici. Et nous parlons là d’un seul quartier ! Ailleurs, des zones entières du pays sont inaccessibles. Les gens meurent chez eux. Personne ne veut voir cette réalité en face. »

En septembre, 20 décès d’enfants de moins de 5 ans ont été recensés dans cet hôpital de campagne, seul établissement public encore fonctionnel du nord de Khartoum. Le bâtiment originel a été pillé et en partie incendié par les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohammed Hamdan Daglo – dit « Hemetti » –, qui, depuis le 15 avril 2023, sont en guerre contre les forces armées du Soudan (FAS) du général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane. Fin septembre, l’armée régulière, auprès de laquelle Le Monde a obtenu l’autorisation de se rendre au Soudan, a récupéré la zone. Le temps de rénover la structure, l’ensemble des services et du personnel soignant a été transféré dans un centre de santé à la capacité dérisoire face à l’ampleur des besoins.

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