Carlos Tavares affiche une mine réjouie en ce jour de printemps 2021 sur la terrasse du centre R & D et design de Stellantis, à Vélizy (Yvelines). Petit pull sous son costume noir, petites lunettes rectangulaires dans les mains, le fan de rallye se prête volontiers à la pose à côté d’une DS Techeetah Formula E. Voilà 100 jours que le dirigeant portugais, visage anguleux et cheveux gris, a pris le volant de Stellantis, nouveau géant automobile issu de la fusion entre le constructeur français groupe PSA et l’italien Fiat Chrysler Automobiles (FCA). Un leader mondial de plus 130 milliards d’euros de chiffres d’affaires qui emploie 300 000 personnes et gère 14 marques : Peugeot, Citroën, Opel, Opel, DS, Vauxhall, Ram, Abarth, Fiat, Alfa Romeo, Maserati, Lancia, Jeep, Dodge et Chrysler.
Quel succès pour l’ex-numéro 2 de Carlos Ghosn chez Renault, qui a osé en 2013 affirmer urbi et orbi qu’il voulait être numéro 1 avant de prendre les rênes de PSA ! Les familles Agnelli et Peugeot, principaux actionnaires de FCA et groupe PSA, ont insisté pour que le patron de 62 ans pilote au moins cinq ans la nouvelle société. Soit jusqu’en 2026… Ils savent que garder l’artisan du redressement de PSA et d’Opel représente la meilleure assurance pour éviter à la fusion franco-italo-américaine une sortie de route.
Divergences stratégiques
Et pourtant, en ce 1er décembre 2024, voilà Carlos Tavares précipitamment poussé dehors avant même la fin de son mandat prévue en 2025. Sous la pression de son conseil d’administration, qui s’est réuni dimanche après-midi, le PDG de Stellantis a accepté de présenter sa démission « avec effet immédiat » pour cause de « divergence de vues ». Carlos Tavares aurait été prévenu seulement la veille du conseil d’administration, où siègent notamment John Elkann, chef de la famille Agnelli, premier actionnaire du groupe (14,2 % du capital via le holding Exor), et président du conseil de Stellantis, Robert Peugeot, représentant la famille actionnaire (7,1 %), Nicolas Dufourcq, patron de la banque publique Bpifrance, actionnaire à 6,1 %, et l’ancien patron d’Axa Henri de Castries, président du comité de gouvernance du constructeur.
« Le succès de Stellantis, depuis sa création, repose sur un alignement parfait entre les actionnaires de référence, le conseil d’administration et le CEO. Cependant, ces dernières semaines, des points de vue différents sont apparus, ce qui a amené le conseil d’administration et le CEO à la décision d’aujourd’hui », explique dans le communiqué Henri de Castries. John Elkann prend la direction d’un nouveau comité exécutif temporaire avant la nomination d’un nouveau directeur général, dont le processus de recrutement est « en bonne voie et aboutira au cours du premier semestre de 2025 ». « Nos remerciements vont à Carlos Tavares pour ses années de service dévoué et le rôle qu’il a joué dans la création de Stellantis, en complément des redressements de PSA et d’Opel, nous mettant sur la voie de devenir un leader mondial dans notre industrie », assure-t-il dans le communiqué.
Stocks excessifs aux États-Unis
Quelles raisons ont fini par précipiter le départ de Carlos Tavares ? Aux yeux des actionnaires, le « psychopathe de la performance » a fait trop d’erreurs ces derniers mois. Jusqu’au début de l’année 2024, tout allait bien. Si elle avait reculé en 2023, la marge opérationnelle de Stellantis restait très élevée pour un constructeur automobile, à 12,8 %, après 13,4 % en 2022. La très haute rémunération de Carlos Tavares, à 36,5 millions d’euros, est approuvée au printemps par les actionnaires du groupe. Le cours de Bourse de Stellantis est au beau fixe. Il tutoie même les 27 euros le 22 mars dernier. Depuis, il a chuté de plus de 100 %, à 12,53 euros le 29 novembre… Que s’est-il passé entre-temps ?
Cette année, Carlos Tavares commet plusieurs faux pas en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. Le premier a lieu aux États-Unis. Jeep, Chrysler, Ram et Dodge, les principales sources de revenus et de profits du mastodonte issu de la fusion en 2021 entre PSA et Fiat Chrysler Automobiles commencent à aller mal. Faute de clients, les stocks de voitures invendues se sont accumulés sur les parkings des usines et des concessionnaires. Les livraisons de véhicules chutent de 18 % en Amérique du Nord au premier semestre. La part de marché y fond de 10 % à 8,2 % et la marge opérationnelle est tombée de 17,5 % à 11,4 %. Les concessionnaires américains avaient alerté sur les risques de la stratégie « court-termiste » du groupe.
Concurrence chinoise en Europe
Stellantis a mis trop de temps à baisser les prix des véhicules, perdant du terrain face aux concurrents GM et Ford. « Carlos Tavares a voulu faire de l’anti-Carlos Ghosn en baissant les volumes pour privilégier la rentabilité avec une politique de prix élevé, le “pricing power” (pouvoir de fixation des prix, en français), analyse Bernard Jullien, maître de conférences à l’université de Bordeaux. Or, il a mis du temps à se rendre compte que le marché automobile se retournait au second semestre 2023 et qu’il fallait faire comme Tesla, à savoir des ristournes sur les véhicules. » Carlos Tavares fait son mea culpa. « J’aurais dû voir le problème plus tôt et réagir plus rapidement. Il m’a manqué des feux d’alerte », reconnaît-il.
Sur le Vieux Continent, dont le marché s’est tassé depuis la pandémie de Covid, Peugeot et Fiat font face à la concurrence féroce des constructeurs chinois (BYD, MG Motors, Geely…) qui maîtrisent toute la chaîne de valeur du véhicule électrique. Comme Volkswagen, en proie au doute en Allemagne, Stellantis a du mal avec la compétitivité de ses usines historiques italiennes et françaises. Pour Philippe Houchois, analyste de Jefferies, « la forte rentabilité de Stellantis a masqué les problèmes, comme celui de devoir manœuvrer un paquebot hétéroclite de 14 marques, avec certaines prometteuses et d’autres moribondes ». Depuis 2021, le constructeur a perdu entre quatre et cinq points de parts de marché tant aux États-Unis qu’en Europe.
Échec en Chine
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Reste la Chine, premier marché mondial où Carlos Tavares a échoué. Il y a vendu jusqu’à 740 000 Peugeot et Citroën en 2014, quand il dirigeait le groupe PSA, un chiffre tombé à 70 000 pour Stellantis en 2023. Exaspéré par la « politisation des affaires » en Chine, il a mis fin aux alliances avec Dongfeng et Guangzhou Automobile Group et parié sur la start-up des voitures électriques Leapmotor. Reste à voir si cela aide à faire décoller les ventes. S’ajoute à ces problèmes l’épuisement des équipes en raison d’un turn-over constant et des réductions de coûts drastiques. « Le constructeur Stellantis pourrait-il devenir le Boeing de l’automobile ? » s’interroge Bernard Jullien, en référence aux nombreux déboires de l’avionneur américain qui a réalisé des économies sur le dos de ses fournisseurs.
À LIRE AUSSI Automobile : la nouvelle stratégie chinoise du maître Carlos Tavares Fin septembre, Stellantis lance un avertissement sur résultats. La marge opérationnelle est revue drastiquement à la baisse, entre 5,5 % et 7 %, au lieu de deux chiffres. Le groupe enclenche aussi le processus pour trouver un successeur à Carlos Tavares en 2026. Moins de deux mois après, John Elkann a finalement dit « stop ». Carlos Tavares n’a plus la mine réjouie du printemps 2021.