Tunis, ville-symbole des embouteillages africains

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Vue du ciel, Tunis, surnommée « la verte » par les grands voyageurs du Moyen Âge, est devenue blanche. Dans un développement urbain qui échappe à toute règle et à tout contrôle, la capitale tunisienne a phagocyté ses espaces verts, éloigné une campagne qui parvenait jusqu’aux portes de la ville dans les années 1960 et est devenue comme étrangère aux siens.

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Sa traversée devient vite une épopée, avec des transports publics urbains « qui ne respectent aucun horaire, dont rien ne signale l’approche, et encore moins les retards. Personne n’imagine qu’il me faut parfois trois heures pour faire 15 kilomètres ! » déplore une étudiante, qui, pour se rendre de la Soukra, quartier résidentiel du nord de la ville, sur le campus de la Manouba, à l’ouest, doit emprunter pas moins de trois moyens de transport : taxi collectif, bus puis métro. Des transports en commun vétustes et souvent en panne, dont le parc est constitué de véhicules d’occasion, achetés notamment en France. Et qui ne vont même pas jusqu’à l’aéroport, où la seule solution pour s’y rendre est fréquemment le recours aux fameux taxis jaunes, réputés pour leurs tarifs prohibitifs.

Quant au covoiturage, il a tout simplement été interdit sous la pression des taxis collectifs des zones urbaines, qui assurent que cette solution de transport (qui trouve tout de même quelques adeptes) est une concurrence. Certains optent pour les réseaux sociaux, où ils glanent des renseignements sur la manière de rallier un point B depuis un point A, et s’informent d’éventuels accidents sur le parcours.

Embouteillages aux proportions épiques

Maissa, assistante de direction, se méfie des chauffeurs privés, autorisés depuis une dizaine d’années à intervenir en milieu urbain et qui s’efforcent de multiplier les courses, occasionnant régulièrement des accidents. Elle essaie d’opter au maximum pour la marche. Une entreprise courageuse, dans une ville où les quartiers en dehors du centre historique sont disposés en îlots bordés de grands axes, avec uniquement deux ou trois points d’accès, tandis que dans la Médina, cafés et commerces ont annexé les trottoirs, et même les chaussées.

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Ceux qui avaient espéré l’aménagement de pistes cyclables ont déchanté et constaté que rien n’est prévu pour les deux-roues, parmi les premières victimes d’une circulation anarchique. « Les conducteurs ne craignent plus la police. Au pire, ils s’en sortiront en glissant un billet », explique un assureur. Le phénomène, qui s’est généralisé partout dans le pays, a pris une telle ampleur qu’il est impossible de le juguler.

Résultat, il est pratiquement impossible de se passer d’un véhicule dans Tunis, les quartiers suffoquent, et les embouteillages aux heures de pointe prennent des proportions épiques. Or les voitures neuves, toutes importées, ainsi que leurs pièces de rechange, sont hors de prix pour les revenus moyens. « Même les voitures de 4 chevaux, dites populaires, sont chères pour les Tunisiens. Beaucoup empruntent ou ont recours au leasing, et le marché de l’occasion, à hauteur de 52 % des ventes, se porte bien », explique un concessionnaire, qui estime, faute de données à jour, que près de trois millions de voitures privées et 97 000 véhicules administratifs desservent la Tunisie, avec une importante concentration dans l’agglomération du Grand Tunis. Une capitale de près de 3 millions d’habitants où le plan de circulation n’a pas été revu et dont les rues ne sont plus calibrées pour absorber des flux importants.


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Manque de concertation

« Faute de politique de la Ville, Tunis est chaotique et épuisée », comme le spécifie Samir Meddeb, fondateur de l’association Racines et développement durables, pour qui, « la ville étant l’espace de la production de la richesse, il faut créer les conditions idoines pour créer cette richesse attendue ». À Tunis, il n’est pas rare que le consommateur renonce à un achat si le fournisseur est trop éloigné et ne fait pas de livraisons.

Soulager Tunis paraît utopique, d’autant que la dissolution des conseils municipaux, en mars 2023, a impacté une gestion locale qui s’est trouvée dépourvue de plan directeur, ainsi que de moyens financiers et techniques. « Rien n’est cohérent. Quand ils sont réalisés, les travaux, comme à la sortie de l’autoroute sud, se font en période de pointe, notamment l’été, malgré la chaleur et les embouteillages. Personne ne prend l’initiative de travailler en nocturne », rapporte un chef d’entreprise de la banlieue Sud, qui se sent « piégé » par d’interminables ralentissements, faute d’alternative. Côté Ouest – où cohabitent quartiers populaires densément peuplés et zones industrielles encastrées dans le tissu urbain –, « il y a un léger mieux avec le démarrage, après douze années de travaux, du Réseau ferroviaire rapide (RFR), mais les usagers attendent que la ligne soit entièrement opérationnelle », note un commerçant d’El Agba, qui dénonce le « cauchemar » de l’échangeur de Ben Daha : celui-ci bloque quotidiennement les véhicules pendant une heure en moyenne.

Pour Samir Meddeb, qui plaide pour un nouveau schéma d’aménagement du territoire, le diagnostic est sans appel : « La ville est un espace où tous les éléments fonctionnent en relation les uns avec les autres. Il faut donc une approche systémique de sa gestion, qui est absente aujourd’hui. »

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