Sa fidélité envers le capitaine Ibrahim Traoré a été récompensée. Le 7 décembre, Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo, ministre de la communication du gouvernement dissous la veille, a été nommé premier ministre par le chef de la junte au pouvoir au Burkina Faso. Il remplace Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla, avocat dont le régime peinait à contrôler les prises de parole, parfois trop tranchantes.
Journaliste de formation, Jean Emmanuel Ouédraogo, 41 ans, est décrit par plusieurs de ses anciens confrères joints par Le Monde Afrique comme « moins radical », « plus calme », et « loyal ». Formé à l’Institut des sciences et techniques de l’information et de la communication (ISTIC) de Ouagadougou, il a commencé sa carrière comme reporter au sein de la branche télévisuelle de la Radio-Télévision du Burkina (RTB). Il se fait connaître de ses compatriotes en devenant présentateur du journal de 20 heures de la télévision publique, avant d’en être nommé directeur en 2021, sous la présidence de Roch Marc Christian Kaboré.
Le 30 septembre 2022, quand Ibrahim Traoré prend le pouvoir, Jean Emmanuel Ouédraogo, dont il est réputé proche, lui permet de réaliser ce que tout aspirant putschiste doit faire pour acter son coup d’Etat : s’emparer de la télévision nationale et annoncer en direct sa prise du pouvoir. En guise de remerciement, M. Ouédraogo est nommé ministre de la communication et porte-parole du gouvernement de transition.
Des journalistes régulièrement menacés
Figure civile d’une junte réprimant les voix critiques, l’ancien journaliste est chargé d’orchestrer la propagande du régime. Sous sa houlette, la RTB et l’Agence d’information du Burkina Faso (AIB) se muent en relais de la communication de la junte. Fin 2023, M. Ouédraogo pilote aussi la controversée réforme du Conseil supérieur de la communication, qui donne au président le pouvoir d’en nommer le chef, ainsi qu’au régulateur des médias un droit de regard sur les contenus et publications de tout internaute disposant d’au moins 5 000 abonnés. « Tout est désormais en place pour que l’exécutif puisse sanctionner les journalistes, médias, mais aussi les influenceurs selon son bon vouloir », dénonce lors Reporters sans frontières (RSF).
En parallèle, de nombreux activistes du Web à la solde de la junte se mettent à inonder les réseaux sociaux de désinformation visant à discréditer les ennemis du capitaine Traoré. Les journalistes qui continuent à exercer leur métier de manière indépendante sont, eux, régulièrement menacés. Certains sont enlevés, comme Atiana Serge Oulon, le directeur de publication du bimensuel d’investigation L’Evénement, qui reste pour l’heure porté disparu.
Sous les ordres du ministre Ouédraogo, des médias locaux, telle la très écoutée radio Omega, voient leur diffusion suspendue. La presse internationale n’échappe pas à la règle. RFI, France 24, TV5 Monde, BBC, Voice of America, LCI ou encore Jeune Afrique sont tour à tour interdits de diffusion dans le pays, pour des périodes plus ou moins longues. Début décembre 2023, Jean Emmanuel Ouédraogo annonce dans un communiqué que Le Monde est à son tour suspendu, évoquant la publication d’un « article tendancieux » sur une attaque djihadiste d’ampleur dont la junte se refusait à donner le bilan réel.
« Il a été opportuniste »
Lorsqu’il était encore journaliste, M. Ouédraogo estimait pourtant que les Burkinabés devaient être informés des assauts lancés contre l’armée et les civils. « Quand il y a des attaques, il faut dire qu’il y a des attaques. Le rôle des médias publics n’est pas de défendre le pouvoir », avait-il déclaré le 16 décembre 2021, lorsqu’il était directeur de la RTB.
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« Beaucoup d’entre nous ont été étonnés de le voir faire le boulot de censure de la presse quand il est devenu ministre car c’est quelqu’un qui respectait ses confrères. Mais il a été opportuniste », relate un journaliste burkinabé contraint, comme des dizaines d’autres, à l’exil. Un autre craint que la promotion accordée à Jean Emmanuel Ouédraogo soit le signe d’une « restriction encore plus grande de la liberté d’expression à venir ».
Pour le remplacer au portefeuille de la communication, un autre porte-voix de la junte a été choisi : Gilbert Ouédraogo, précédemment directeur de la communication de la présidence. « Les communicants du régime ont été promus lors du remaniement. Cela montre la place centrale de la propagande dans le fonctionnement du pouvoir d’Ibrahim Traoré », conclut un politologue burkinabé.