Sous les bombardements incessants, Mohamed Moussa, un médecin soudanais, dit continuer de travailler, comme d’autres, au milieu d’un système de santé en ruines, une crise humanitaire sans précédent, la famine et l’insécurité dans le contexte d’une guerre qui dure depuis plus d’un an et demi.
« Les bombardements nous ont insensibilisés », déclare au téléphone, à l’Agence France-Presse (AFP), ce généraliste de 30 ans qui œuvre à l’hôpital Al-Nao, l’un des derniers établissements en activité à Omdourman, ville jumelle de Khartoum. Le personnel de santé « n’a pas d’autre choix que de continuer », confie-t-il, même si les coups de feu crépitent au loin, les avions rugissent au-dessus de sa tête et le sol tremble sous ses pieds.
Depuis avril 2023, le Soudan est ravagé par une guerre opposant l’armée, dirigée par le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), menés par son ancien allié, le général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti ».
Le conflit a fait des dizaines de milliers de morts et déplacé 12 millions de personnes et provoqué la « plus grande crise humanitaire » du monde, selon le Comité international de secours (IRC). A l’hôpital Al-Nao, qui a été la cible de bombardements selon Médecins sans frontières (MSF), le personnel dit s’occuper de blessures par balle à la tête, à la poitrine et à l’abdomen, de brûlures graves, d’os brisés et d’amputations, même sur des enfants de quatre mois.
Bombardements, fusillades, pillages, intrusions
Sur les 87 hôpitaux de l’Etat de Khartoum, près de la moitié ont subi des dommages visibles entre la mi-avril 2023 et le 26 août 2024, d’après les images satellites fournies par l’université de Yale et l’Association des médecins soudano-américains (SAPA). En octobre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait recensé 119 attaques contre des établissements de santé, dont des bombardements, tirs d’artillerie, fusillades, pillages et intrusions.
« Il y a un mépris total pour la protection des civils », a déclaré à l’AFP Kyle McNally, conseiller aux affaires humanitaires chez MSF, faisant état de « destructions généralisées » mettant « à bas les services de santé ». Selon le syndicat des médecins soudanais, dans les zones de conflit, jusqu’à 90 % des établissements médicaux ont été contraints de fermer, privant de soins des millions de personnes.
D’après la même source, les FSR auraient pénétré dans des établissements de santé pour soigner leurs blessés ou traquer des ennemis, des combattants se seraient livrés à des représailles contre les médecins après la mort de leurs camarades qui y étaient soignés, et l’armée est accusée d’avoir mené des frappes aériennes sur des hôpitaux.
Quelque 78 professionnels de santé ont été tués depuis le début de la guerre sur leur lieu de travail ou à leur domicile, affirme le syndicat. « Les deux camps pensent que le personnel médical coopère avec la faction adverse, ce qui conduit à les prendre pour cible », a déclaré à l’AFP son porte-parole, Sayed Mohamed Abdullah.
« Nous craignons une détérioration rapide »
Le 11 novembre, MSF a suspendu la plupart de ses activités à l’hôpital Bachaïr, l’un des seuls hôpitaux en activité dans le sud de Khartoum, après que des combattants ont pris d’assaut l’établissement. « Rien ne justifie de cibler les hôpitaux ou le personnel médical car les médecins ne font aucune distinction entre les patients », assure M. Abdullah. Les médecins doivent aussi faire face à la famine, le Soudan comptant près de 26 millions de personnes confrontées à une faim aiguë, selon l’ONU.
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Entre mi-août et fin octobre, le personnel d’un hôpital pédiatrique d’Omdourman accueillant des enfants souffrant de malnutrition, s’occupait jusqu’à quarante enfants par jour, dont beaucoup dans un état critique, selon le médecin Nora Idris, dont le nom a été modifié pour des raisons de sécurité. « Chaque jour, trois à quatre d’entre eux meurent car leur cas était désespéré ou à cause d’une pénurie de médicaments », a-t-elle précisé.
Adnan Hezam, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour le Soudan, a affirmé à l’AFP que « sans une aide immédiate aux structures de santé, nous craignons une détérioration rapide » des services. Il souligne que le droit international humanitaire protège le personnel médical, les hôpitaux et les ambulances mais, au Soudan, ces principes ont peu de poids. Pour les professionnels de santé, soigner coûte que coûte « semble certains jours insupportable, mais nous ne pouvons pas nous arrêter », assure le docteur Moussa.