La MansA : panser et repenser la relation Afrique-France

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« Replacer au centre et recontextualiser les récits et savoirs du continent africain et de ses diasporas pour rompre avec ‘la constitution coloniale du monde’ », voilà ce que l’on peut lire dans l’avant-propos du rapport sur la Maison des mondes africains soumis par l’historien camerounais Achille Mbembe à Emmanuel Macron en 2021. Un extrait qui résume à lui seul l’ambition du projet MansA, contraction de mansio, « habitation » en latin, et de Mansa Moussa, souverain malien du XIVe siècle. Ce futur centre culturel et de recherche consacré à la création contemporaine et aux cultures africaines s’inscrit dans la continuité des chantiers visant à solder le passé colonial portés par l’Élysée, comme le sommet Afrique-France organisé à Montpellier, toujours en 2021.

Le roi du Mali Kanga Moussa, Kankou Moussa, ou Kankan Moussa ou Mansa Moussa : détail d'une carte nautique (portulan) catalane représentant l'Asie du XIIIe siècle. Atlas catalan d'Abraham Cresques, Manuscrit enluminé sur parchemin, Majorque (Mallorca) © The British Library Board/Bridgeman Images

Le roi du Mali Kanga Moussa, Kankou Moussa, ou Kankan Moussa ou Mansa Moussa : détail d’une carte nautique (portulan) catalane représentant l’Asie du XIIIe siècle. Atlas catalan d’Abraham Cresques, Manuscrit enluminé sur parchemin, Majorque (Mallorca) © The British Library Board/Bridgeman Images

« Le chef de l’État n’avait pas invité les présidents africains lors de cette rencontre, ce qui lui avait été reproché, indique une source diplomatique. Mais cet événement s’inscrivait dans sa nouvelle politique de réparation, qui consiste à travailler sur les erreurs passées en vue de dépassionner les relations entre l’Afrique et la France. La MansA est l’un des outils du renouvellement de cette relation, qui intègre de manière accrue la diaspora. » Sur le plan de la symbolique, le discours est bien huilé parmi les soutiens de la Maison. Le ministère de la Culture et le Quai d’Orsay, qui ont répondu présent dès la première heure, Bercy et les acteurs habituels de la coopération et du développement (Institut français, Agence française de développement…) sont au diapason. Repenser, voire panser, les rapports entre la France et le continent, loin de l’esprit de la Françafrique, une phrase qui est sur toutes les bouches.


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Société civile et réseau africain

Cependant, c’est une nouvelle fois sans les États africains que les équipes mettront sur pied l’ensemble des chantiers de la MansA, comme la création d’un média, d’une maison d’édition et d’un incubateur de jeunes talents issus des industries culturelles et créatives (ICC). Pour sa directrice, Élisabeth Gomis, préfiguratrice de la Maison au sein du ministère de la Culture dès 2022, membre du Conseil présidentiel pour l’Afrique depuis 2020, cette structure doit avant tout être une réponse donnée à la diaspora.

« J’ai surtout contacté la société civile, qui sera intégrée à certains programmes. Il faudra voir comment les pays africains regardent le projet et si les pouvoirs publics du continent ont envie de se saisir ou non de la question décoloniale », pose la documentariste de formation, qui a œuvré au commissariat général de la Saison Africa2020. Mais le centre pourra compter sur un réseau de chercheurs solide, notamment basés en Afrique, via la Fondation H à Madagascar et l’incubateur Heva Fund au Kenya, qui visent à connecter les entrepreneurs des ICC. L’un des volets pour lequel un conseil scientifique et culturel, qu’Élisabeth Gomis espère cosmopolite et composé de personnalités afrodescendantes, sera bientôt installé.

Voilà pour la théorie. Côté pratique, un coup d’accélérateur a été impulsé en cette fin d’année pour renforcer les équipes. Dix personnes ont été embauchées à la suite d’une session de recrutement intensif pour laquelle 800 candidatures ont été envoyées. « Preuve d’un véritable intérêt pour le projet », se félicite Élisabeth Gomis, qui pourra donc compter sur Christelle Folly à ses côtés. Nommée directrice adjointe, cette dernière a aussi œuvré aux missions de préfiguration de la MansA en tant que coordinatrice, au sein du ministère de la Culture, du forum Création Africa, consacré aux industries culturelles et créatives. Mais aussi sur Pierre-Marie Bel, nommé secrétaire général, ex-coordinateur général du pôle des Saisons de l’Institut français. Une trentaine de collaborateurs sont attendus en 2025, l’objectif étant d’atteindre les soixante salariés d’ici à 2026.

À la recherche de mécènes

Pour le reste, la MansA manque encore un peu de concret. « Il ne faut pas oublier que c’est un projet qui arrive du haut. Donc ça prend du temps, rappelle la diplômée en médiation culturelle et en journalisme. L’administration a sa propre temporalité. » L’imbroglio politique né de la dissolution de l’Assemblée nationale a d’autant plus ralenti sa mise en œuvre. « En l’absence de gouvernement, le processus a été en stand-by pendant trois à quatre mois », confirme une source diplomatique. L’immobilisme gouvernemental a notamment retardé les discussions sur le lieu qui doit héberger la MansA. En négociation depuis plusieurs mois, la Monnaie de Paris. Du moins, une partie. Sur la totalité des 35 000 m², 7 000 à 8 000 m² seraient convoités. Un dimensionnement préconisé par l’inspection générale des affaires culturelles. Par ailleurs, cette jauge permettrait, selon les équipes, de viser le nombre d’entrées du musée de la Monnaie, qui a atteint les 110 000 visiteurs en 2024.


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Si les collaborateurs refusent de communiquer sur le budget investi dans le projet, on l’imagine considérable, et il faudra bien [que le projet] soit rentable. « Je ne peux pas me prononcer sur ce volet-là car certains établissements culturels nous voient comme des concurrents, alors même que l’on connaît les difficultés liées à la dette publique de la France. Mais je peux aussi assurer qu’il n’est pas indécent », glisse la directrice. D’après une dépêche AFP du 18 novembre, le ministère de la Culture contribuerait à hauteur de 2,1 millions d’euros, et celui des Affaires étrangères à hauteur de 5 millions d’euros en 2025.

Elisabeth Gomis, directrice de la MansA. © © Facebook Elisabeth Gomis

Elisabeth Gomis, directrice de la MansA. © © Facebook Elisabeth Gomis

Élisabeth Gomis vise l’autonomie de la structure sur la partie événementielle, qu’elle compte produire majoritairement en interne. Le musée proposera par ailleurs une offre gratuite, « une philosophie sans visa » chère à la tête pensante de la structure ; mais une autre sera payante. Les réductions des dépenses de l’État liées au projet de loi finances 2025 (PLF) ne facilitant pas la tâche des administrateurs, c’est dans cette perspective que la MansA est devenue, en mai dernier, un groupement d’intérêt public (GIP), après deux années à attendre un statut, pour acquérir plus de flexibilité sur le mode de financement. « Outre les deux bailleurs de fonds que sont le ministère de la Culture et celui des Affaires étrangères, il faudra potentiellement compter sur des mécènes pour atteindre la pérennité financière », avance une source proche du dossier.


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Des expos hors les murs

En attendant un lieu et des fonds privés, la MansA peut compter sur ses partenaires. En octobre, elle organisait à la Gaîté lyrique, à Paris, un cycle de cinéma mettant en lumière les luttes historiques et contemporaines que traversent les mondes africains, dans le cadre de la projection du film Karnaval, une histoire populaire d’Haïti en six chapitres, de Leah Gordon. Tandis que, courant 2025, plusieurs lieux éphémères naîtront pour accueillir des débats d’idées et des expositions, comme « Le Paris Noir », imaginé avec le Centre Pompidou dans une annexe située à deux pas du Musée d’art moderne et contemporain. Ce parcours montrera l’apport des populations afrodescendantes à la ville de Paris.

Un programme collaboratif intitulé Banques d’archives populaires est également en cours d’élaboration. Il vise à « créer une cartographie du pourcentage d’africanité de la France », résume Élisabeth Gomis, en s’appuyant sur des récits autobiographiques autour des migrations africaines et des liens personnels qui unissent la France et le continent. « À travers ce projet, on essaie de connecter tous les Français, même ceux qui ne se sentent a priori pas concernés par cette histoire. » La restitution de cette œuvre sera déployée sous forme de kiosques éphémères un peu partout en France, y compris dans les territoires ultramarins.

Car l’ambition du projet est bien d’aller toucher tous les publics, et pas seulement l’intelligentsia afro et parisienne. La direction a entamé une tournée en région dans ce sens, afin d’imaginer des déclinaisons de projets en termes de médiation. Elle a ainsi approché des villes ayant accueilli la Saison Africa2020, comme Marseille, Roubaix, ou encore Bordeaux et son Institut des Afriques. « On travaille avec le continent depuis quinze ans, et on peut être un relais au niveau régional pour éviter que la MansA ne reste enfermée dans sa tour d’ivoire, à Paris », encourage Virginie Andriamirado, présidente de la structure bordelaise.

Selon elle, les projets du centre ne peuvent pas être cloisonnés en Île-de-France. Elle imagine très bien une partie d’une exposition de la Mansa migrer dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (sud-est de la France), puis être relayée par d’autres régions. « L’absence de lieu n’empêche pas d’exister, au contraire, estime celle qui voit la Maison des mondes africains comme une annexe à l’Institut des Afriques. Nous n’avons pas les mêmes moyens que cette future institution, reconnaît-elle, mais nous avons les mêmes valeurs, celles de montrer à tous les Français que nous avons une histoire commune. Un message qu’on a toutefois du mal à faire comprendre. »

En ralliant, autour d’un projet national, plusieurs structures spécialistes des territoires africains et des diasporas à travers la création contemporaine et les savoirs, les différents acteurs du genre espèrent être plus audibles. Une urgence, à l’heure où le racisme et la xénophobie gagnent du terrain en Europe, notamment en France, depuis l’épisode des législatives où le RN s’est retrouvé aux portes du pouvoir, comme de l’autre côté de l’Atlantique, avec la récente élection de Donald Trump à la tête des États-Unis. « La fachosphère a crié au grand remplacement à l’idée de voir notre projet aboutir. Mais la Maison arrive au bon moment pour proposer une solution à cette espèce de mal-être qui pèse sur nous au regard de notre histoire coloniale », estime Élisabeth Gomis qui reste persuadée que la MansA peut être l’une des clés pour envisager 2027 de façon plus sereine.

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