Le cinéaste Michael Mann, l’un des réalisateurs les plus influents de sa génération, était présent à la quatrième édition du Festival international du film de la Mer Rouge, qui se déroule à Jeddah, en Arabie saoudite, du 5 au 14 décembre 2024. Lors de cet événement prestigieux, il a animé une master class très attendue, s’appuyant largement sur le site « Michael Mann’s Ferrari Expanded », une plateforme en ligne regroupant des archives précieuses et des images liées à la production de son dernier film, « Ferrari » (2023). Ce site a servi de fil conducteur pour toute la présentation, illustrant de manière immersive les choix et les prouesses du réalisateur.
Michael Mann et les archives : Une passion enracinée
Le site Michael Mann’s Ferrari Expanded constitue une ressource unique qui a permis au cinéaste de partager avec le public le fruit de ses recherches minutieuses. Michael Mann a expliqué que ce projet est né de son désir de rendre accessibles les nombreux documents collectés durant la préparation de Ferrari. « J’aime l’idée de partager directement avec le public, sans intermédiaires. Ce site regroupe toutes les archives que nous avons collectées, permettant à chacun de plonger dans les coulisses de la création. »
Le réalisateur a détaillé son rapport étroit avec les archives, expliquant comment elles enrichissent son travail : « Les archives ne sont pas seulement des documents. Ce sont des fenêtres sur la réalité, des outils pour comprendre les gens, les lieux et les époques. » Pendant la master class, il a insisté sur le fait que cette plateforme n’était pas qu’un complément, mais bien une extension vivante de son œuvre cinématographique. Cette démarche est aussi inspirée par ses quatre filles, qui travaillent dans le domaine de l’archivage.
Michael Mann a également partagé les étapes spécifiques de ses recherches pour Ferrari. « Nous avons contacté son médecin. Nous avons aussi trouvé des lettres qu’Enzo a envoyées à sa femme. En plus, son fils a retrouvé toute une valise pleine de documents de son père. Donc énormément d’archives, que j’ai dû lire pour comprendre le personnage d’Enzo. » Le cinéaste a exploré ces documents personnels avec une grande minutie, cherchant à décoder les relations familiales et les émotions qui animaient le magnat. Il a aussi étudié des échanges de correspondance entre Enzo et ses collaborateurs, révélant des détails inédits sur sa personnalité.
Le réalisateur a également expliqué que l’idée du site est née grâce à une réflexion avec ses filles. « Une de mes filles m’a suggéré de préserver les matériaux que je crée au cours du processus de réalisation d’un film. J’étais intéressé par la possibilité de raconter l’histoire de ce que signifie faire un film directement, de moi au public, sans intermédiaires ni considérations marketing. C’est une expérience brute de ce que nous faisons. »
Mann a précisé : « L’idée derrière tout cela était d’emmener les gens dans l’aventure de ce que font les réalisateurs lorsqu’ils construisent un film comme Ferrari. C’est inhabituel. Il n’y a jamais eu de site web tout à fait comme celui-ci. Nous savions que nous allions le faire pendant le tournage, donc nous avons accumulé beaucoup de matériel.«
Lorsqu’on lui a demandé s’il envisagerait une plongée similaire dans l’un de ses autres films, Michael Mann a suggéré que Heat (1995) pourrait être un bon candidat. Il a également mentionné qu’il aimerait voir des initiatives similaires pour analyser le travail de cinéastes comme Alejandro González Iñárritu, Guillermo del Toro et Alfonso Cuarón.
Ferrari : Une plongée dans l’histoire et la mécanique humaine
Dans Ferrari, Michael Mann s’intéresse à une figure emblématique de l’industrie automobile, Enzo Ferrari, interprété par Adam Driver. Le film se concentre sur une période cruciale de la vie de Ferrari en 1957, marquée par des succès professionnels et des tragédies personnelles. Penélope Cruz y incarne Laura Ferrari, l’épouse du magnat, dans une performance saluée pour sa profondeur émotionnelle.
Le réalisateur a longuement présenté le contexte historique du film et l’importance des Mille Miglia, la légendaire course automobile italienne. Dans cette période charnière, Enzo Ferrari, endeuillé et au bord de la faillite, doit à tout prix redorer le blason de sa marque. Pour ce faire, il rassemble une équipe de pilotes brillants, dont le prometteur Alfonso de Portago. Cette dualité entre les ambitions mécaniques et les drames humains est au cœur du film.
Michael Mann a également évoqué la fascination qu’Enzo Ferrari exerçait dans un contexte politique complexe. Fils d’un militant socialiste, Enzo Ferrari s’est montré attentif aux mouvements sociaux tout en gardant une certaine distance. Le réalisateur a révélé qu’Enzo avait maintenu des relations tendues mais respectueuses avec des membres du Parti communiste italien, en particulier dans les premières années de la fondation de Ferrari. Cela ajoute une dimension politique et humaine au personnage exploré dans le film.
Une reconstitution minutieuse : l’accident de 1957
L’un des moments les plus marquants de la master class a été la description détaillée par Michael Mann de la manière dont il a reconstitué l’accident tragique de 1957, ayant coûté la vie à plusieurs personnes et marqué un tournant dans l’histoire de Ferrari. Cet événement, survenu lors de la course des Mille Miglia, a été recréé avec une précision extraordinaire. « Nous avons accumulé des dizaines de documents, des rapports de police, des photos de l’accident, et même des lettres personnelles. Comprendre ce qui a causé l’accident a été essentiel pour reconstituer fidèlement les événements. »
Michael Mann a montré comment il avait collaboré avec des experts techniques, des cascadeurs et des ingénieurs pour recréer chaque détail de l’accident. Les photos des voitures déformées, les témoignages, et même les rapports météo du jour de l’accident ont été analysés pour garantir une précision maximale. Une séquence immersive de la plateforme « Michael Mann’s Ferrari Expanded » illustrait ce travail de reconstitution, permettant au public de visualiser les différentes étapes de cette prouesse cinématographique.
Le réalisateur a également décrit comment il avait utilisé le montage pour exploiter au maximum l’anticipation du spectateur. Alors que de Portago roule furieusement sur l’étroite route de campagne, la caméra capte chaque détail : un objet tranchant sur le bitume, les spectateurs massés au bord de la route, et enfin, l’explosion du pneu qui entraîne la catastrophe. La brutalité de l’impact est filmée avec un hyperréalisme viscéral, rendant palpable la violence de l’accident.
L’importance des détails dans le cinéma de Michael Mann
Michael Mann est connu pour son obsession des détails, et cette qualité transparaît dans toutes les facettes de Ferrari. Lors de la master class, il a partagé de nombreuses anecdotes illustrant cette quête d’authenticité. Par exemple, il a fréquenté le salon de coiffure où se rendait Enzo, s’est fait couper les cheveux par le fils du coiffeur qui coupait les cheveux d’Enzo et l’a interrogé pour comprendre les habitudes du magnat. Il a également étudié les partitions d’opéra que Ferrari écoutait, intégrant cette passion dans la bande originale du film.
« La musique aide à saisir la complexité des personnages. Enzo allait souvent à l’opéra, et nous avons voulu refléter cette passion dans notre approche, » a-t-il expliqué. Cette attention aux détails crée une expérience immersive qui transcende les limites du biopic traditionnel.
Bande annonce du film Ferrari
Une carrière légendaire et des projets futurs
En explorant les thèmes profonds de Ferrari, Michael Mann a fait écho à ses œuvres précédentes, où les personnages principaux se trouvent souvent déchirés entre ambition et vulnérabilité. Tout comme les protagonistes de Heat ou Ali (2001), Enzo Ferrari incarne une dualité humaine, à la fois imparfaite et déterminée. Michael Mann a rappelé que Muhammad Ali, par exemple, avait insisté pour que ses défauts soient inclus dans Ali, ce qui a permis de raconter un récit enrichi par son parcours de transformation personnelle.
La discussion a également mis en lumière Heat, un film dont la complexité architecturale continue de captiver les spectateurs presque trois décennies après sa sortie. Le réalisateur a comparé la structure narrative du film à une fugue musicale, où chaque perspective s’entrelace pour former une composition harmonieuse. Le film, bien qu’il n’ait pas remporté d’Oscar, a acquis une renommée intemporelle grâce à sa narration bicéphale, explorant à la fois le monde du criminel Neil McCauley, joué par Robert De Niro, et celui du détective Vincent Hanna, incarné par Al Pacino. L’une des scènes les plus marquantes, celle du café, est d’ailleurs tirée d’un fait réel, inspirée par une rencontre entre un enquêteur et le criminel qu’il traquait.
Pour conclure, Michael Mann a partagé ses projets futurs, notamment la suite de Heat et un film historique ambitieux consacré à la bataille de Hué, un épisode clé de la guerre du Vietnam en 1968. Après des décennies de carrière, il reste animé par une énergie créative débordante et considère toujours la réalisation comme « le plus beau métier du monde ». Ce rôle, selon lui, lui offre une opportunité unique d’explorer la complexité de l’humanité à travers le prisme d’histoires captivantes.
Une master class mémorable
La master class de Michael Mann, riche en anecdotes et réflexions, a offert une immersion rare dans le processus créatif d’un réalisateur visionnaire. Grâce à sa passion pour l’authenticité et son engagement envers la vérité narrative, Mann a démontré qu’un film exceptionnel dépasse les simples frontières du récit. Il devient une expérience vivante, un témoignage intemporel de la puissance du cinéma.
Neïla Driss
