« Ce qui est à nous est à nous, ce qui est à vous est négociable ». Cette déclaration de Nikita Khrouchtchev donnée, le 13 octobre 1960, à l’assemblée générale de l’ONU, devrait, à notre avis, servir de leitmotiv aux hauts cadres de l’Etat quand ils s’assoient sur la table des négociations avec des parties étrangères.
« Si la Tunisie a failli, durant la dernière décade, à finaliser des accords avec certains donateurs, c’est plus en raison du manque de persuasion de ses représentants et de la méconnaissance des dossiers qu’ils sont censés défendre, que du rechignement de leurs interlocuteurs ».
Cette phrase, énoncée, dans une émission télévisée, par Ferid Belhaj, vice-président du Groupe de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, nous interpelle au plus haut degré, et suscite en nous à la fois réflexion et questionnement.
Une remarque loin d’être fortuite !
Pourquoi nous disons cela ? Premièrement, parce que cette remarque émane d’un haut responsable de la BM qui, plus est, jouit d’une bonne réputation. Sa sincérité n’est, donc, pas mise en doute. Secundo, parce qu’exprimée par un Tunisien, cette phrase a beaucoup de sens. Ferid Belhaj sait, plus que quiconque, la réalité du terrain et sait comment se sont « déroulées » les choses avec les gouvernements qui se sont succédé depuis 2011.
Aussi graves et pertinents soient-ils, les propos de notre compatriote, s’ils ne mettent pas directement en cause la bonne foi et la loyauté de tous les représentants de l’Etat tunisiens, durant ces dix dernières années, ils jettent, cependant, un discrédit sur leur qualité de négociateurs. Une vertu que doit posséder, normalement, chaque représentant plénipotentiaire.
Négocier n’est pas seulement une question de background. C’est cela que nous décelons à travers les propos de Ferid Belhaj. Négocier, c’est surtout une question de persuasion, de doigté et de technicité quant à la manière de diriger les pourparlers.
Et si d’aventure, ces qualités ou ces facteurs ne sont pas réunis, l’échec des négociations est inéluctable, comme l’est le cas pour plusieurs dossiers.
Des données biaisées !
Que « d’anciens responsables de l’Etat aient défendu la cause tunisienne, auprès d’institutions financières internationales, dans des dossiers qu’ils ne maîtrisaient pas suffisamment », c’est, à bien des égards, quelque chose, de répréhensible.
Ferid Belhaj laisse sous-entendre, en plus, que des hauts cadres de l’Etat avaient présenté, dans ce sens, à des émissaires d’organisations étrangères des données économiques biaisées et des statistiques qui ne collaient pas à la réalité. Ce qui a entraîné la volteface des donateurs !
Si l’on pousse la réflexion plus loin, l’on peut imaginer que le responsable de la BM incrimine, sans le dire, des gouvernements post-révolution qui avaient bénéficié de la cacophonie dans le pays pour donner libre court à leurs machinations.
Entre autres, des allégeances à quelques monarchies du Golfe en contrepartie de dons qui n’étaient destinés, réellement, ni à l’économie ni au Budget de l’Etat. Des dons de milliards de dollars dont l’inventaire ordonné par Kaies Saied en mesure l’ampleur.
Dans cette atmosphère de suspicions qui a prévalu durant cette période noire de l’histoire de la Tunisie, l’on ne peut que regretter l’ère Bourguiba pour la probité de la personne qu’il était et pour la qualité de prévoyant que requiert sa fonction de président.
Dans le même sillage, malgré tous les manquements que l’on peut attribuer au régime de Ben Ali, il y a une chose que l’on ne peut lui enlever. Ben Ali était entouré de cadres de l’Etat au plus haut degré de compétence et de servitude. Dans les négociations, ils ont la prestance et l’aura dont doivent justifier les mandataires plénipotentiaires.
Des qualités qui sont, hélas, de moins en moins présentes chez la jeune garde. Et si d’aventure certains en sont pourvus, ils sont vite recrutés par des institutions internationales…
Chahir CHAKROUN
(Tunis-Hebdo du 04/03/2024)