itinéraire d’Omar Blondin Diop, révolutionnaire sénégalais mort dans les geôles du régime de Senghor

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Le 11 mai 1973 disparaissait, à l’âge de 26 ans, l’intellectuel et activiste sénégalais Omar Blondin Diop. Cinquante et un ans plus tard, jour pour jour, les éditions Jimsaan publient sa biographie, signée du chercheur Florian Bobin : Cette si longue quête – Vie et mort d’Omar Blondin Diop.

Préfacier de prestige, l’écrivain Boubacar Boris Diop souligne l’importance du personnage en rappelant qu’une autre grande figure des lettres, le Camerounais Mongo Béti, avait dédié au révolutionnaire sénégalais son roman Remember Ruben, consacré à Ruben Um Nyobè, figure de l’indépendance camerounaise, avec ces mots : « A Diop Blondin. Fier enfant noir, mon jeune frère, assassiné dans les geôles atroces d’un dynaste d’Afrique. Afrique, marâtre trop fertile en tyrans mercenaires. »

Il a fallu cinq années d’enquête, de rencontres et d’analyses à Florian Bobin pour mettre au point cette reconstitution, la première d’une telle ampleur, consacrée à celui qui, en dépit de sa jeunesse, a marqué d’une profonde empreinte l’histoire politique du Sénégal. Le résultat s’avère tout à la fois érudit et passionnant, tant pour ce qu’il exhume de l’itinéraire d’Omar Blondin Diop, que pour les échos de ce militantisme dans le contexte social et géopolitique actuel.

Fils d’Ibrahima et Adama Blondin Diop, respectivement « médecin africain » et sage-femme, formés dans les années 1930 au sein des fameuses Ecoles normales de Dakar et Rufisque, le jeune Omar est un élève brillant. Il passe son bac en France, à l’occasion d’un séjour de quelques années de ses parents venus y compléter leur formation. Il y restera pour préparer les concours des grandes écoles au lycée Louis-le-Grand quand les siens rentrent au pays.

Premier Sénégalais normalien en France

En France, l’étudiant découvre une société tout à la fois curieuse et condescendante à son égard, aussi sûre de sa supériorité qu’ignorante de son ancien empire colonial, mais qui s’intéresse à ce Noir si intelligent qui va réussir haut la main le concours de l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud. Omar Blondin Diop devient le premier Sénégalais normalien en France, un petit séisme, débutant ainsi le cycle d’une notoriété qui prendra des formes diverses mais ne cessera plus.

Il noue des amitiés fortes et fait des rencontres marquantes au sein de l’intelligentsia parisienne, d’Antoine Gallimard, petit-fils du créateur des éditions, au cinéaste Jean-Luc Godard, qui le fait tourner dans La Chinoise en passant par le philosophe Jean-Paul Sartre. C’est la France du Tour de France, du Salon des arts ménagers et des chanteurs yé-yé promus par le magazine Salut les copains. Les années passant, il s’intéresse au jazz, aux Beatles, aux Rolling Stones, à la musique afro-américaine. Il fréquente le drugstore des Champs-Elysées et sort danser au Bus Palladium.

Avec les études supérieures, « les terrasses de café se muent en tables à palabres », écrit Florian Bobin. L’époque est à la lecture d’essais théoriques, aux débats intellectuels de fond, à l’expression des convictions les plus affirmées. Celles d’Omar penchent clairement à gauche, du côté du communisme, des syndicats et de ce qu’il considère comme les franges aliénées de la population, les ouvriers français et les ressortissants de l’immigration.

Sa vie va se construire autour du point nodal du militantisme. « Comment tu vas concilier tes convictions marxistes-léninistes avec le destin qui nous est tracé ? Tu te vois en opposant dans ton pays ? En exilé permanent ? », l’interroge un ami.

Au Sénégal, Mai 68 est aussi une flambée

Il connaît en France l’embrasement étudiant de Mai 68 auquel il participe activement, au côté de ses ailiers, amis pour toujours, Alioune Sall dit « Paloma » et le Marocain Mustapha Saha. De meetings politiques en manifestations, entre Paris et Dakar, le livre nous le montre jour après jour, impliqué dans le mouvement, prenant la parole avec un sens aigu de la formule.

Au Sénégal aussi, Mai 68 est une flambée, réprimée avec violence par les forces de police du président Léopold Sédar Senghor. Omar Blondin Diop va combattre tout particulièrement la politique de ce dernier, qu’il considère comme un supplétif à la solde de l’Etat français.

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« Il n’y a jamais eu d’indépendances en Afrique ! », affirme-t-il un jour dans un amphithéâtre de l’Université libre de Bruxelles, avant de le démontrer « en décrivant les formes de l’impérialisme sur les sociétés africaines en proie à la prédation de ses élites dirigeantes, avalisées par les puissances occidentales », selon Florian Bobin.

Très documenté, vivant, émaillé de citations et de dialogues, le livre de Florian Bobin brosse le portrait d’un jeune intellectuel, courageux dont le destin tourne court. Parti avec ses pairs se former à la lutte armée auprès du Fatah palestinien en Syrie et des Black Panthers en Algérie dans l’espoir de libérer des camarades emprisonnés au Sénégal, il est arrêté au Mali, où vit une partie de sa famille, en novembre 1971 et extradé vers son pays natal. Jugé pour « atteinte à la sûreté de l’Etat », il est condamné en 1972 à trois ans d’incarcération au terme d’un procès d’exception et finit par trouver la mort en prison sur l’île de Gorée.

« Chacun s’est senti aussitôt orphelin de la passion et des impatiences de l’étincelant Omar, qui se précipitait à si grandes enjambées vers l’avenir », écrit Boubacar Boris Diop. Mais le souvenir de l’intellectuel engagé est étouffé par le pouvoir sénégalais, lequel affirme que le militant souffrait d’une addiction à la drogue et s’est suicidé par pendaison.

Si bien qu’au fil des semaines et des mois qui suivent son décès, la figure du martyr se superpose à celle du militant. Au passage, c’est la face la plus sombre du régime du président Senghor qui se trouve révélée, en particulier dans sa brutalité à l’égard de l’opposition.

Vivant dans sa chair l’aventure de la révolution, n’hésitant pas à supporter la précarité afin d’aller au bout de ses idées de justice sociale, Omar Blondin Diop a démontré la capacité de la jeunesse sénégalaise à se mobiliser pour le changement et demeure une figure emblématique à ce titre. Lecture salutaire, Cette si longue quête – Vie et mort d’Omar Blondin Diop nous replonge dans l’ambiance d’une époque révolutionnaire… et peut-être pas révolue.

Cette si longue quête – Vie et mort d’Omar Blondin Diop, de Florian Bobin (éd. Jimsaan, Sénégal, 288 pages).
Présentation du livre et hommages à Omar Blondin Diop avec Florian Bobin, Felwine Sarr et Dialo Diop à la librairie L’Harmattan de Dakar, 11 mai à partir de 16 heures.

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