Suivront-ils les Jeux olympiques depuis une cellule de prison ? Arrêtés samedi 11 mai et placés en garde à vue, le président de la Fédération tunisienne de natation (FTN), le directeur général de l’Agence nationale antidopage (ANAD) et sept autres personnes récemment destituées par le ministère de la jeunesse et des sports devaient comparaître ce lundi devant le juge d’instruction. Ils font l’objet d’une enquête judiciaire après la dissimulation du drapeau tunisien lors d’un événement sportif.
Les neuf hommes sont accusés de « complot contre la sûreté intérieure de l’Etat », d’« attentat visant à modifier la forme du gouvernement », d’« incitation à s’armer les uns contre les autres ou à provoquer le désordre, le meurtre ou le pillage sur le territoire tunisien » et d’« atteinte publique au drapeau tunisien », a précisé Mohamed Sadok Jouini, porte-parole du tribunal de Ben Arous, dans une déclaration au Monde. Ils encourent la peine de mort.
L’affaire a éclaté le 30 avril, lorsque l’Agence mondiale antidopage (AMA) a rendu une décision de non-conformité « définitive » et « avec effet immédiat » à l’encontre de la Tunisie suite à « son incapacité à intégrer pleinement la version 2021 du Code mondial antidopage dans son système juridique ». Malgré un avertissement en novembre 2023, le pays n’a pas mis à jour sa législation dans les quatre mois impartis. Parmi les sanctions prises par l’agence mondiale, la Tunisie est désormais interdite d’organiser des événements sportifs majeurs et son drapeau ne sera pas hissé lors des événements sportifs internationaux jusqu’à réintégration de l’ANAD, y compris lors des Jeux olympiques et paralympiques qui se tiendront à Paris pendant l’été.
Le ministère tunisien des sports a annoncé le 3 mai la publication au Journal officiel d’un décret « sur l’organisation administrative et financière » de l’ANAD. Mais dans l’attente d’une décision de l’AMA, les sanctions sont toujours en vigueur et l’interdiction de hisser le drapeau national a suscité une vive polémique le jour même, lorsque Habiba Belghith, médaillée de bronze du 100 mètres brasse aux championnats d’Afrique de natation en Angola, a été décorée sans que l’étendard soit hissé lors de la cérémonie. L’image a provoqué une vague d’indignation parmi les internautes et les médias tunisiens. « Belghith médaillée la tête basse », a titré Mosaïque FM, l’une des principales radios du pays.
« Ceux qui ont fait ça doivent être jugés »
Jeudi 9 mai, l’affaire a pris une autre tournure à l’occasion des Tunisian Open Masters, après que le drapeau qui ornait un des murs de la piscine olympique de Radès, dans la banlieue sud de Tunis, a été dissimulé à la hâte avec un morceau de tissu. L’image s’est rapidement répandue sur les réseaux sociaux et a provoqué un véritable tollé.
Le lendemain, le président Kaïs Saïed, dénonçant un « crime odieux » contre la Tunisie, est intervenu directement. Accompagné de son service de sécurité, du gouverneur de Ben Arous et de l’orchestre de la garde présidentielle, il a fait irruption dans l’enceinte de la piscine, où des nageurs poursuivaient leurs activités. « Où sont les responsables ? Ceux qui ont fait ça doivent être jugés. Ils doivent assumer leur responsabilité pénale immédiatement », a-t-il exigé, visiblement en colère.
Face à une responsable de la FTN qui tentait de justifier cette action par la décision de l’AMA, le président Saïed a rétorqué : « De quelle agence parlez-vous ? Il n’y a aucune commission qui peut ordonner à la Tunisie de couvrir son propre drapeau. » Ordonnant le retrait du tissu, il a ensuite hissé l’étendard et entonné l’hymne national joué par l’orchestre présidentiel, les larmes aux yeux. Depuis son coup de force du 25 juillet 2021, Kaïs Saïed a régulièrement mis l’accent sur la « souveraineté » de la Tunisie et la nécessité de protéger l’indépendance politique et culturelle du pays face aux influences étrangères.
Le soir même, le ministère des sports a annoncé, sur « instructions » du président, la dissolution de la FTN ainsi que le limogeage du directeur général de l’ANAD et du représentant du ministère dans le gouvernorat de Ben Arous, où s’est tenu l’événement sportif qui a provoqué la polémique. Les poursuites pénales ont été engagées dans la foulée.