le dramatique échec d’une méthode

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Les violences qui ont surgi en Nouvelle-Calédonie, lundi 13 et mardi 14 mai, à l’occasion de l’examen, par les députés, du projet de loi constitutionnelle réformant le corps électoral ont renvoyé l’archipel aux heures sombres de son histoire. Deux morts sont d’ores et déjà à déplorer, alors que le couvre-feu a été décrété, et des habitants forment des milices pour protéger leurs biens.

L’insurrection, menée par de jeunes émeutiers, hors du contrôle des chefs indépendantistes qui avaient appelé à la mobilisation contre le texte, intervient quarante ans après le début de la quasi-guerre civile qui avait conduit à la mort de dix-neuf Kanak et de deux militaires, lors de l’assaut sur la grotte d’Ouvéa, le 5 mai 1988. A l’époque déjà, c’est la définition du corps électoral qui avait creusé le fossé entre loyalistes et indépendantistes. Depuis, trois référendums ont consacré la volonté des Calédoniens de rester français, sans pour autant rompre la méfiance entre communautés.

D’emblée, la révision du corps électoral s’annonçait délicate, car elle marque la fin du cycle ouvert par l’accord de Nouméa du 5 mai 1998 et remet en cause les délicats équilibres alors trouvés. Durant ce long processus, seuls ont eu le droit de voter ceux qui étaient inscrits sur les listes électorales avant l’accord. Il en résulte qu’aujourd’hui près d’un électeur sur cinq se trouve écarté des urnes. Le texte corrige partiellement cette inégalité en ouvrant le corps électoral à tous les natifs et aux personnes ayant au moins dix ans de résidence en Nouvelle-Calédonie.

Ce qui aurait pu apparaître comme un lent cheminement vers la démocratie a réveillé un quasi-climat de guerre civile, parce que de fortes inégalités demeurent au détriment des Kanak, que le contexte économique, marqué par la crise du nickel, n’est pas bon, que la jeunesse désespère de trouver un avenir et qu’au lieu de mettre tout son poids pour favoriser l’entente entre les parties, le gouvernement a donné le sentiment de pencher pour un camp. Le choix d’Emmanuel Macron de confier la gestion du dossier au ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, alors que, depuis Michel Rocard, Matignon instruisait les négociations a été mal perçu.

Une victoire à la Pyrrhus

La nomination comme secrétaire d’Etat en 2022 de la présidente non indépendantiste de la province Sud, Sonia Backès, a ajouté à la suspicion, de même que la désignation comme rapporteur du projet de loi constitutionnelle d’un autre élu loyaliste du Caillou, Nicolas Metzdorf, au moment où l’enjeu est de réussir à définir les futurs liens de la Nouvelle-Calédonie avec la France, dans un cadre de décolonisation. Dès le mois de mai, trois anciens premiers ministres, Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls, Edouard Philippe avaient tiré le signal d’alarme. En vain.

En maintenant, malgré tout, l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale mardi, en le faisant voter, l’exécutif, soutenu par la majorité, la droite et l’extrême droite, a voulu administrer une leçon de fermeté aux émeutiers : on ne cède pas à la violence. Il a cherché aussi à s’assurer rapidement d’une base légale dans la perspective des prochaines élections provinciales, qui doivent se tenir au plus tard en 2025, car le texte a déjà été adopté au Sénat. Mais il s’agit d’une victoire à la Pyrrhus, car rien ne sera possible sans un large accord englobant les questions économiques, sociales et institutionnelles.

En invitant à Paris l’ensemble des parties néo-calédoniennes pour une rencontre visant à relancer le dialogue, en précisant qu’il ne convoquerait pas dans l’immédiat le Congrès du Parlement pour faire adopter la révision constitutionnelle, Emmanuel Macron a implicitement désavoué la méthode Darmanin. Mais il l’a fait dans la dernière extrémité, au risque de n’avoir pas les moyens de reprendre la main. Cela s’appelle jouer avec le feu.

Le Monde

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