« La déclaration d’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie confirme la tendance du pouvoir à l’interpréter de manière extensive »

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La déclaration d’état d’urgence sur l’ensemble du territoire de la Nouvelle-Calédonie, publiée au Journal officiel du 15 mai, provoque hélas une impression de déjà-vu. En 1985, une déclaration de même nature avait en effet été décidée par le pouvoir, Caldoches loyalistes et Kanak indépendantistes s’affrontant les armes à la main. Pourtant, en presque quarante ans, beaucoup de choses ont changé. Tel est d’abord le cas de la situation en Nouvelle-Calédonie, où les accords de Nouméa, signés en 1998, prévoyaient transferts de compétence, organisation de référendums et processus d’autodétermination clairement indiqués par le texte de l’accord. Tel est le cas ensuite du droit de l’état d’urgence, ce régime juridique d’exception auquel le pouvoir n’a eu de cesse de recourir ces dernières années : en 2005 lors des émeutes urbaines, en 2015 après les attentats terroristes de Paris et en 2020 lors de la crise sanitaire.

Il serait donc erroné de voir dans cette nouvelle déclaration une simple répétition de l’épisode néo-calédonien de 1985. Certes, dans les deux cas, le Caillou est au bord de la guerre civile. Cette situation permet le déclenchement de l’état d’urgence : la loi du 3 avril 1955 – maintes fois modifiée – qui régit celui-ci prévoit en effet qu’il peut être instauré en cas de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Toutefois, le parallèle s’arrête là.

Quand en 1985, Edgard Pisani, haut-commissaire de la République, décide de déclarer l’état d’urgence, c’était principalement pour protéger les Kanak des Caldoches. La même décision prise il y a quelques jours témoigne de la volonté de protéger la population caldoche des jeunes Kanak qui ont pris les armes. De plus, à la différence de 1985, ce n’est plus le reste de la province qui est menacée, mais Nouméa, la principale ville de l’île. L’affaire n’en est que plus sérieuse et inquiétante.

Crise morale et politique

Elle témoigne de la crise morale et politique provoquée par le triple échec référendaire et par l’impossibilité de trouver un accord politique viable dans un contexte où les rancœurs se sont de part et d’autre accumulées.

Cette nouvelle déclaration d’état d’urgence illustre parfaitement les caractéristiques classiques de ce régime juridique. Elle témoigne tout d’abord du divorce récurent entre la réalité politique et le droit que provoque la pratique présidentialiste de la Ve République. Alors que la loi du 3 avril 1955 prévoit que l’état d’urgence est déclaré par un « décret délibéré en conseil des ministres », c’est en réalité le président de la République qui a publiquement fait part le 15 mai de sa décision de recourir à un tel régime en annonçant la convocation du conseil des ministres. L’intervention de ce dernier n’a donc été que de pure forme, le chef de l’Etat ayant décidé de recourir à l’état d’urgence avant même que le conseil ait eu la possibilité d’en délibérer.

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