Pour le monde du business, « l’Afrique n’est plus à la mode », mais « le potentiel n’a pas disparu »

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Le choix d’investir quelque part est une affaire de chiffres tout autant que de ressenti. Sur ces deux tableaux, l’Afrique peine ces temps-ci à faire sa propre publicité : depuis plusieurs mois, l’inflation, la dégringolade des monnaies, la stagnation des revenus et la multiplication des coups d’Etat ne rassurent guère sur les perspectives d’une bonne partie du continent.

A l’Africa CEO Forum, mini-Davos africain du business organisé par le média Jeune Afrique qui s’est tenu jeudi 16 et vendredi 17 mai à Kigali, au Rwanda, la communauté d’affaires ne faisait pas l’impasse sur les difficultés. « Il est clair que le contexte est rude et cela fait plusieurs années que cela dure. On n’est plus du tout dans la situation d’il y a dix ans, quand presque tous les pays connaissaient une forte croissance », reconnaissait Acha Leke, président Afrique du cabinet de conseil McKinsey.

Du naira nigérian au shilling kényan en passant par le franc congolais, le dévissage de nombreuses devises africaines depuis 2023 pèse lourdement sur le bilan des entreprises étrangères présentes sur le continent. Une équation rendue encore plus compliquée par la remontée des taux d’intérêt mondiaux dans le sillage de l’inflation. « Quand les taux étaient proches de zéro dans les pays occidentaux, on se disait, l’Afrique, c’est dangereux, mais ça peut rapporter, résume Jean-Michel Huet, du cabinet Bearing Point. Aujourd’hui, beaucoup estiment que le risque n’est plus assez compensé. »

« L’instabilité politique fait peur »

D’ailleurs, « tous les gros fonds de pension américains qu’on voyait dans ce type de forum en 2013-2015 ne font plus le déplacement », remarque un investisseur français qui préfère rester anonyme. « L’instabilité politique fait peur et on voit que les fondamentaux ne s’améliorent pas vite. L’Afrique, c’est “bankable” si on prend un pari sur cinquante ans, pas sur cinq, estime-t-il. Le continent n’est plus à la mode et les multinationales s’en vont. »

Les grands groupes de consommation Unilever et Procter & Gamble, tout comme le géant pharmaceutique GSK, ont fait grand bruit en annonçant, ces derniers mois, leur retrait du Nigeria. En Afrique du Sud, Nestlé a arrêté la production de lait chocolaté en poudre Nesquik, invoquant une baisse de la demande. Et de la Société générale à la BNP, en passant par les britanniques Barclays et Standard Chartered, les banques européennes se désengagent les unes après les autres.

Mais une bonne partie du monde des affaires réuni à Kigali s’est refusée à broyer du noir. « La perception du risque africain me semble exagérée, s’agaçait, lors d’un panel, Marlène Ngoyi, patronne du Fonds pour le développement des exportations en Afrique (FEDA). Aux Etats-Unis, on me demande si ce n’est pas dangereux d’investir en Afrique, mais ce sont souvent les mêmes qui achètent des FTX », cette cryptomonnaie à l’origine d’un scandale financier.

Et si des grandes entreprises choisissent de partir, « il y a aussi toutes celles qui restent, les Coca-Cola, Total, Orange ou General Electric. Le potentiel de l’Afrique n’a pas disparu », insiste Acha Leke. Le continent, rappelle-t-il, demeure un réservoir de minerais indispensables à la transition énergétique. Il abrite aussi l’essentiel des terres arables encore non cultivées de la planète. Et, sur les 25 économies les plus performantes au monde en termes de taux de croissance en 2024, une douzaine se trouve dans la région. Le Rwanda, pays hôte du forum, en offre une saisissante illustration : l’activité y progresse à un rythme moyen de 6,6 % par an depuis dix ans.

« Capital humain »

La formation d’une véritable classe moyenne met plus de temps que prévu à se matérialiser. Mais les dépenses de consommation en Afrique subsaharienne ont tout de même été multipliées par plus de quatre entre 2001 et 2021, pour atteindre 1 400 milliards de dollars (1 289 milliards d’euros), selon la Banque mondiale. Et les réalités changent grandement d’une région à l’autre sur un continent composé de 54 pays aux trajectoires variées.

« Il existe, dans de nombreux pays, une population dotée d’un vrai pouvoir d’achat dont les besoins sont non satisfaits », assure Olivier Granet, patron de Kasada, une plateforme spécialisée dans le financement d’actifs hôteliers en Afrique. En trois ans, ce véhicule créé par le fonds souverain du Qatar et le groupe français Accor a investi dans pas moins de vingt hôtels à travers huit pays. Des établissements destinés au tourisme et aux voyages d’affaires, mais aussi aux loisirs d’une clientèle locale à la recherche de lieux pour se divertir et se retrouver.

De façon générale, l’Afrique reste un continent à équiper, dans la distribution, l’électricité ou les infrastructures, sur fond de croissance démographique échevelée. D’ici à 2050, un humain sur quatre sera africain et même un sur trois parmi les 15-24 ans. Une jeunesse qui pourrait aviver l’intérêt de certains secteurs, comme celui des industries culturelles et créatives. Témoin, le rachat par Canal+ de l’opérateur audiovisuel sud-africain Multichoice. Une acquisition qui vise notamment à étoffer son offre de contenus sur le continent.

« La raison de mon optimisme, c’est le capital humain », fait aussi valoir Cyrille Nkontchou, patron du fonds d’investissement Enko Capital. Le financier camerounais a choisi de cibler l’éducation parmi ses nouveaux secteurs prioritaires d’investissement. « Dans un monde où, partout, la population vieillit et rétrécit, indique-t-il, l’Afrique va être le réservoir de la jeunesse et de nombreux pays vont avoir besoin de cette ressource humaine. »

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