En Tunisie, des migrants camerounais interceptés en mer et abandonnés à la frontière algérienne

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Une longue coque blanche de 35 mètres surmontée d’une cabine à deux étages : François, un Camerounais de 38 ans qui préfère ne pas donner son nom complet, reconnaît immédiatement l’un des douze patrouilleurs de la garde nationale tunisienne, offerts par l’Italie en 2014, et dont la maintenance est toujours assurée par Rome. Le don, d’une valeur de 16,5 millions d’euros, a permis aux autorités tunisiennes de renforcer le contrôle de leur frontière maritime avec l’Union européenne (UE).

Rencontré dans un appartement de Tunis par Le Monde, qui a enquêté avec le média à but non lucratif Lighthouse Reports et sept médias internationaux sur les violations des droits humains subies par des migrants dans les pays du Maghreb, parfois avec des moyens alloués par des pays de l’UE, François raconte.

Les yeux rivés sur l’écran d’un téléphone qui affiche une image du bateau, il se souvient s’être retrouvé à bord, avec sa compagne, Awa, et l’enfant de cette dernière, Adam, un matin de septembre 2023, alors qu’ils tentaient de rejoindre l’île italienne de Lampedusa à bord d’un petit rafiot. Des semi-rigides rapides interceptaient des embarcations de migrants avant de les transborder sur le patrouilleur. Celui-ci finissait par revenir au port de Sfax, « pour déposer » les migrants.

Débarquée, la petite famille a été abandonnée la nuit suivante par la même garde nationale dans une zone montagneuse et désertique, à la frontière algérienne, avec près de 300 personnes, réparties en petits groupes, toutes ressortissantes d’Afrique. « Lorsqu’ils nous ont déposés, [les agents] nous ont dit : “Là-bas, c’est l’Algérie, suivez la lumière. Si on vous voit à nouveau ici, on vous tirera dessus.” » Le groupe d’une vingtaine de personnes, parmi lesquelles des hommes, des femmes dont deux sont enceintes et un enfant, s’exécute, mais se heurte immédiatement à des « tirs de sommation du côté algérien ». Ils font alors demi-tour.

« Proche de la mort »

Pendant neuf jours, ils sont contraints de marcher à travers les montagnes, de dormir à même le sol, avant de regagner la ville de Tajerouine, dans l’ouest du pays, raconte François, données GPS et photos à l’appui. « Après une semaine sans sommeil, sans manger, vous commencez à perdre l’équilibre, vous êtes proche de la mort », dit-il froidement, évoquant les douleurs « aux articulations, aux pieds, au dos, aux hanches, aux chevilles » et des « hallucinations » à cause de la déshydratation.

La première fois que Le Monde l’a rencontré, début octobre 2023, dans la localité côtière d’El Amra, François revenait de cet enfer. Depuis, l’homme a encore été expulsé à deux reprises. En novembre, il est arrêté avec d’autres migrants à El Amra. Frappés à coup de « gourdin, de chaîne, de matraque » et dépouillés de tous leurs biens par des agents de la garde nationale, ils sont finalement expulsés au milieu des « dunes de sable », dans le désert du gouvernorat de Tozeur, raconte le Camerounais.

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