Les violences qui endeuillent aujourd’hui la Nouvelle-Calédonie sont une tragédie accablante. Pour tous ceux qui vivent sur ce territoire, bien sûr, mais aussi pour les Français attachés à cette terre lointaine, avec sa diversité de cultures, et qui veulent pour elle un avenir pacifique et prospère.
Rétablir là-bas la sécurité des personnes et des biens est une nécessité. Il est de l’intérêt de tous de veiller à l’approvisionnement en nourriture, de garantir l’accès aux soins, d’assurer la libre circulation des personnes, de restaurer les services publics et de faire repartir l’économie. Rien ne peut justifier les meurtres, les pillages et la destruction de biens collectifs ou privés et de lieux de production.
Pour sortir du mieux possible de l’actuelle épreuve, il faut impérativement renouer avec le désir de concorde et la recherche de consensus qui ont guidé les forces politiques néo-calédoniennes quand elles étaient assurées de l’impartialité de l’Etat. Cette manière d’agir a permis à la paix civile de prévaloir sur ce « caillou » fertile tandis que s’engageait un indispensable et original processus de décolonisation au sein de la République.
Laissons le passé nous éclairer. En 1988, des communautés s’affrontent en Nouvelle-Calédonie depuis quatre ans, au bord de la guerre civile, jusqu’au paroxysme du drame d’Ouvéa, le 5 mai [l’assaut militaire lancé contre une grotte où des indépendantistes retiennent des otages fait alors vingt-cinq morts]. Le calme revient quand, le 26 juin, des accords sont signés à Matignon par Jacques Lafleur, Jean-Marie Tjibaou et Michel Rocard, trois personnalités courageuses et novatrices.
Apaiser les esprits
Leurs objectifs ont été de garantir une paix durable fondée sur la reconnaissance mutuelle, le dialogue, le rééquilibrage entre les communautés et les régions, le développement et la formation. Un référendum devait permettre, au bout de dix ans, de choisir entre le maintien dans la République et l’indépendance. Le peuple français a solennellement approuvé ces accords le 6 novembre 1988. Ministre d’Etat dans le gouvernement Rocard, j’ai travaillé au rééquilibrage dans le champ crucial de l’éducation. Sur le terrain, j’ai découvert la Nouvelle-Calédonie et je l’ai aimée.
Mais dix ans, c’était court pour apaiser les esprits et réaliser les objectifs ambitieux fixés, et la décision fut prise, avec l’approbation de tous, de rechercher au terme de la période un nouvel accord évitant de raviver les divisions par un choix binaire.
Devenu premier ministre en 1997, j’ai eu l’honneur de signer à Nouméa, le 5 mai 1998, un nouvel accord, avec Jacques Lafleur, Roch Wamytan et Paul Néaoutyine. Celui-ci prolongeait et approfondissait les accords de Matignon. L’autonomie était poursuivie grâce à un large transfert de compétences. Une citoyenneté de Nouvelle-Calédonie était instituée au sein de la nationalité française. Dans un préambule à l’accord, un récit partagé du passé visait à mieux fonder l’avenir. Le traumatisme de la colonisation pour les Kanak était reconnu, et l’apport des populations immigrées affirmé. La légitimité de toutes les communautés de Nouvelle-Calédonie « à y vivre et à continuer de contribuer à son développement » était proclamée. Il s’agissait de constituer, au-delà des divisions, « une communauté affirmant son destin commun ». Parallèlement, mon gouvernement apportait des réponses positives, tant économiques que politiques, aux demandes des milieux économiques et des nouvelles autorités provinciales sur l’importante question du nickel. La paix régnait sur le territoire, et l’habitude d’y gouverner ensemble s’installait.
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