Au Rwanda, enquête sur les dérives du régime de Paul Kagame, l’autocrate qui fascine l’Occident

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Les années passent, mais le rituel reste le même. Le 7 avril, trente années jour pour jour après le déclenchement du génocide contre les Tutsi au Rwanda, Paul Kagame a rallumé la flamme du souvenir au Mémorial de Gisozi, où reposent les restes de 250 000 personnes sur les quelque 800 000 hommes, femmes et enfants qui ont été méthodiquement massacrés en cent jours, en 1994.

Le président du Rwanda Paul Kagame  et son épouse Jeannette Kagame allument la flamme au Mémorial du génocide de Gisozi, à Kigali, au Rwanda, le 7 avril 2024. Le président du Rwanda Paul Kagame  et son épouse Jeannette Kagame allument la flamme au Mémorial du génocide de Gisozi, à Kigali, au Rwanda, le 7 avril 2024.

Lors du génocide, « c’est la communauté internationale qui nous a tous laissé tomber, que ce soit par mépris ou par lâcheté », déclare quelques heures plus tard le président rwandais devant un parterre de hautes personnalités, l’Américain Bill Clinton, le Français Nicolas Sarkozy, le président de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, et de nombreux chefs d’Etat africains. Tous comptables de la passivité complice dont ont fait preuve plusieurs pays, au premier rang desquels la France.

Des pays auxquels Paul Kagame réclame d’autant plus de comptes qu’il en est devenu un partenaire incontournable. En trente ans, sous sa férule inflexible, le Rwanda s’est en effet métamorphosé. Partant d’un Etat structurellement failli, exsangue, ravagé par les pires actes de barbarie qu’une population ait endurés depuis la Shoah, le pays fait aujourd’hui figure de modèle à l’échelle continentale. Stable, sûr, pauvre, mais ancré dans une dynamique de développement planifié.

« Chaos »

A quel prix ? Pendant plusieurs mois, Le Monde, Forbidden Stories et un consortium de médias internationaux ont enquêté sur la face sombre du régime rwandais, ce partenaire si particulier de nombreux pays occidentaux. Ce pays dont le nom s’affiche sur les maillots du PSG mais qui surveille et traque toutes les voix dissidentes, y compris à l’étranger, notamment grâce à des logiciels espions. Ce pays qui a su se rendre indispensable aux missions des Nations unies en Afrique, mais joue un rôle-clé dans la guerre qui sévit dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) en soutenant activement un mouvement rebelle, au prix de morts, de centaines de milliers de déplacés et d’une des plus graves crises humanitaires au monde.

« Rwanda Classified », une enquête sur le régime Kagame

L’enquête « Rwanda Classified », une investigation sur le régime de Paul Kagame, a mobilisé 50 journalistes de 17 médias dans 11 pays, coordonnés par le collectif Forbidden Stories. Partant de la mort suspecte du journaliste John Williams Ntwali à Kigali en janvier 2023, l’enquête s’attache à révéler la mécanique répressive mise en œuvre par le Rwanda, y compris hors de ses frontières, loin de l’image de pays modèle promue à l’étranger. Le 15 juillet, l’élection présidentielle rwandaise devrait reconduire Paul Kagame à la tête du pays pour un quatrième mandat, trente ans après le génocide de 1994.

Si le Rwanda fascine autant, c’est aussi parce qu’un homme incarne cette métamorphose : Paul Kagame, libérateur du pays en 1994, lorsqu’à la tête d’une rébellion il a vaincu les forces armées du gouvernement génocidaire, et dirigeant singulier depuis, avec ses faux airs de moine-soldat. Enfant tutsi d’une famille décimée, héritier d’une histoire dramatiquement complexe dont il n’entend pas demeurer prisonnier mais au contraire écrire le cours, sans contestation ni protestation. Une histoire qui pèse lourdement dans la dérive autoritaire d’un régime qui ne tolère aucune opposition.

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