L’alarmante régression de la Tunisie de Kaïs Saïed

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Jusqu’où la dérive ira-t-elle ? Depuis deux ans, la Tunisie connaît une alarmante régression vers un régime ouvertement autoritaire, à rebours de ses acquis de l’après-2011. Le berceau des « printemps arabes », qui fascina tant le reste du monde, est en train de renouer, sous la férule de son président, Kaïs Saïed, avec les vieux démons de la répression, du muselage de l’opposition, de la traque des mal-pensants. Les Tunisiens, en proie de nouveau à la peur, évoquent un retour à l’ère glaciaire de la dictature de Ben Ali (1987-2011).

La condamnation le 22 mai à un an de prison de deux journalistes, Mourad Zeghidi et Borhen Bssais, pour diffusion de « fausses nouvelles » et autres futiles prétextes, n’est que le dernier indice d’un raidissement général du pouvoir. Au total, au moins une trentaine de journalistes, avocats, blogueurs, militants politiques ou associatifs, hommes d’affaires et autres sont sous les verrous pour « complot », « blanchiment d’argent », etc.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés En Tunisie, la répression s’accentue et la peur reprend ses droits

La scène politique de Tunisie, qui fut si foisonnante au lendemain de la révolution de 2011 − au risque d’être parfois chaotique − n’est plus qu’un néant rendant le pays méconnaissable. A cette dépression politique s’ajoute une stagnation socio-économique s’aggravant au fil des semaines, alors que guette la banqueroute.

Incertitude sur « l’après »

Le paradoxe est que Kaïs Saïed avait été élu en 2019 dans un climat de ferveur populaire. L’électorat avait plébiscité cet enseignant en droit constitutionnel à la réputation intègre et qui promettait de remettre la révolution dans son lit après les amers désenchantements d’une « transition démocratique » post-2011 dysfonctionnelle et corrompue. Lorsqu’il réalisa son « coup de force », en juillet 2021, concentrant les pouvoirs entre ses seules mains, la foule l’acclama même en pariant sur sa capacité à rétablir autorité et justice.

La désillusion fut cruelle. Kaïs Saïed s’est employé sans tarder à démanteler toutes les institutions de l’après-« printemps arabes » pour imposer unilatéralement son projet qui, derrière le label séduisant d’une « construction démocratique par la base », revient à réinstaller un hyperprésidentialisme de triste mémoire. Simultanément, son populisme xénophobe a livré des milliers de migrants subsahariens, bloqués en Tunisie par le verrouillage des frontières de l’Europe, aux vieux réflexes anti-Noirs répandus au Maghreb. Et son nationalisme déclamatoire a crispé ses relations avec les partenaires occidentaux de la Tunisie. Hostile à tout accord avec le FMI, dont les conditions sont assimilées à des « diktats étrangers », il esquisse désormais un rapprochement avec la Russie, la Chine et l’Iran, tandis que l’Algérie exerce sur lui une emprise croissante.

Derrière la poigne apparente, l’assise de Kaïs Saïed est toutefois fragile, comme l’a illustré le 25 mai le limogeage de deux ministres de son premier cercle. Tout porte à croire que le pays va entrer dans une zone de turbulences, alors que le mandat de M. Saïed s’achève en octobre et que l’incertitude règne sur « l’après ». Le danger est que la petite Tunisie vulnérabilisée devienne l’otage de rivalités régionales, notamment celle opposant l’Algérie et les Emirats arabes unis. Les Européens, et la France en particulier, ne doivent garder qu’une boussole : le respect de la souveraineté tunisienne et le soutien au réformisme éclairé dont le pays est l’héritier par-delà les aléas de l’histoire.

Le Monde

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