En Afrique du Sud, un revers historique se profile pour l’ANC

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On s’attendait à un résultat décevant pour le Congrès national africain (ANC) après les élections qui se sont tenues le 29 mai en Afrique du Sud. On se dirige vers une déflagration. Non seulement le parti au pouvoir depuis l’élection de Nelson Mandela en 1994 semble désormais voué à perdre sa majorité absolue à l’Assemblée nationale pour la première fois depuis la fin de l’apartheid, mais sa chute pourrait être à la mesure des prédictions les plus pessimistes tandis que les partis populistes réalisent une percée importante.

Alors que 67,69 % des bureaux de vote étaient comptabilisés par la commission électorale sud-africaine en milieu de journée, vendredi 31 mai, l’ANC rassemblait 41,78 % des voix au niveau national. Un score appelé à évoluer à mesure que le décompte progresse mais, déjà, plusieurs projections suggèrent que le parti ne dépassera pas 45 % des voix. Une perspective qui, si elle devait se confirmer d’ici à l’annonce officielle des résultats attendue dimanche, placerait l’ANC face à un choix décisif pour l’avenir du pays.

Particulièrement scrutée, la projection du Conseil pour la recherche scientifique et industrielle (CSIR), un institut de recherche public, estime que l’ANC pourrait ne rassembler que 40,5 % des voix au niveau national, soit dix-sept points de moins qu’aux dernières élections, en 2019, quand le parti l’emportait haut la main avec 57,5 % des voix.

Le média News24 projette de son côté un score légèrement plus élevé, mais tout aussi catastrophique pour l’ANC, de 41,3 %. Plus optimiste, la chaîne eNCA est la seule à estimer que le Congrès national africain pourrait – un peu – limiter les dégâts avec 45 % des voix.

Incroyable percée du parti de Jacob Zuma

« La vérité, c’est que ça nous pendait au nez. Les électeurs ont voté alors qu’il y a des coupures d’électricité, que l’approvisionnement en eau est en voie de disparition, que le chômage est au plus haut et que la criminalité reste très élevée elle aussi », observe, placide, le vice-président de la ligue des vétérans de l’ANC, Mavuso Msimang, qui dénonce depuis longtemps la mollesse de la lutte contre la corruption au sein du parti.

Si ce déclin était annoncé dans une certaine mesure, l’origine de la défaite cinglante qui se dessine s’explique par une autre surprise : l’incroyable percée du parti de l’ancien président Jacob Zuma, uMkhonto we Sizwe (MK), dont le résultat devrait surpasser les prévisions des sondages pour ce parti inexistant il y a encore quelques mois.

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« Clairement, M. Zuma est revenu au centre de la vie politique. La performance du MK est tout simplement stupéfiante », souffle l’analyste politique Richard Calland. Accusé d’avoir fait exploser le niveau de corruption lors de son mandat (2009-2018), Jacob Zuma est revenu semer le chaos dans la politique sud-africaine en annonçant rallier le parti MK en décembre 2023, une formation créée en catimini trois mois plus tôt avec l’ambition affichée de précipiter la chute de l’ANC. On savait que la formation risquait de faire mal au parti de libération, dans la province clef du Kwazulu-Natal en particulier. Elle l’a mis à terre.

Si les résultats se confirment, le MK deviendrait la troisième force politique d’Afrique du Sud et la première du Kwazulu-Natal, deuxième province la plus peuplée du pays. D’après le CSIR, il devrait rassembler 44,9 % des voix dans cette région d’où est originaire l’ancien président. Dans le township d’Umlazi, dans la banlieue de Durban, le MK rafle ainsi 71 % des voix. Même à Soweto, haut lieu de la lutte contre l’apartheid, où l’ANC récoltait encore 73 % des voix en 2019, le parti jusqu’ici au pouvoir perd la majorité, avec 49 % des voix.

Une composante nationaliste zoulou

« Jacob Zuma rassemble de nombreux supporteurs autour de sa personnalité. Il a été capable de capter l’attention de ceux qui se sentent laissés pour compte et rejetés par l’establishment. Tout comme M. Trump et d’autres dirigeants, il mobilise les pires peurs et les pires instincts des gens », poursuit Richard Calland.

Accusé de corruption dans le cadre d’un contrat de ventes d’armes avec le groupe français Thales remontant à la fin des années 1990 et poussé à la démission par son parti en 2018 sur fond de multiples scandales, Jacob Zuma se présente comme la victime d’un complot ourdi par son successeur, Cyril Ramaphosa, accusé d’être à la solde d’un « monopole capitaliste blanc ». Amateur de bains de foule, il « sait parler aux gens », insistait l’une de ses supportrices interrogée avant les élections. Un charisme que lui reconnaissent même ses opposants.

« Ce que je ne m’explique pas, c’est que pendant vingt ans Jacob Zuma a été l’un des plus hauts, sinon le plus haut, responsable de l’ANC dans le pays », souligne Mavuso Msimang. Le vétéran de la lutte de libération estime que l’ancien président a assuré sa popularité en menant sa croisade contre ses anciens camarades : « Mon sentiment, c’est que c’est un vote contre l’ANC avant d’être un vote pour Jacob Zuma. »

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« Il y a également une composante nationaliste zoulou, ajoute Richard Calland. C’est un élément inquiétant pour tout le monde et pour l’ANC notamment, qui s’est toujours efforcé de lutter contre les divisions tribales ou ethniques en politique. » Dans une moindre mesure, les bons scores de l’Alliance patriotique, un parti créé en 2013 qui s’adresse en priorité à l’électorat coloured (métis), confirme la poussée des partis ethnonationalistes.

Quelles alliances pour l’ANC ?

Au-delà de la radicalisation de la vie politique sud-africaine, les résultats de cette élection pourraient laisser l’ANC face à un choix crucial. Sa mise en minorité à l’Assemblée nationale, qui ne semble plus faire de doute, l’obligera à former une coalition pour se maintenir au pouvoir et élire un président. Reste toutefois une incertitude de taille : le parti parviendra-t-il à se maintenir au-dessus des 45 % ?

Si tel est le cas, il pourrait faire alliance avec de petits partis pour conserver le pouvoir tout en maintenant le cap de sa politique. Si, comme plusieurs projections l’annoncent, il tombe en deçà de ce seuil, l’ANC devra faire alliance avec un ou plusieurs partis parmi ses principaux opposants. Deux options se dessinent aux contours radicalement opposés.

D’un côté, une « grande coalition » avec l’Alliance démocratique, parti de centre droit qui plaide pour des réformes libérales. Cette perspective, comme celle d’un gouvernement d’union nationale, rassurerait les milieux financiers. A l’autre bout du spectre, l’ANC pourrait faire alliance avec le parti des Combattants de la liberté (EFF) et/ou celui de Jacob Zuma, deux formations populistes dont l’arrivée au pouvoir pourrait « créer la panique chez les investisseurs », craint Mavuso Msimang.

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