A rebours des suffrages exprimés dans l’Hexagone, où le Rassemblement national (RN) est arrivé premier dans plus de 90 % des communes, les électeurs français du Maroc se sont majoritairement tournés vers La France insoumise (LFI), dimanche 9 juin, lors des élections européennes. La liste conduite par Manon Aubry a raflé plus de 38 % des quelque 9 000 voix exprimées, arrivant en tête dans quatre des six villes consulaires du royaume, dont Rabat et Casablanca, où le nombre d’électeurs français est le plus important. Le parti frôle même les 50 % à Fès et à Tanger, où il réalise ses meilleurs scores. Seules Agadir et Marrakech lui échappent.
Dès les premières estimations sorties des urnes, dimanche, les avis des observateurs convergeaient pour expliquer le succès de LFI au Maroc et dans l’ensemble du Maghreb, la formation ayant terminé à la première place en Algérie, en Tunisie et, plus au sud, en Mauritanie. Un « effet Gaza », selon Abdelghani Youmni : « Dans toute la région, LFI a fait de gros scores parce que la question palestinienne y est centrale », observe ce conseiller des Français de Casablanca, membre du Parti socialiste (PS), pour qui les binationaux – qui représentent plus de la moitié des électeurs – et les Français de couples mixtes ont été sensibles à la position de LFI, qui dénonce un « génocide » à Gaza.
Les résultats enregistrés par les insoumis lors des précédentes élections européennes confortent cette analyse. L’écart est en effet saisissant entre les deux scrutins. En 2019, LFI avait péniblement atteint les 10 % au Maroc, terminant troisième, loin derrière La République en marche (LRM, devenue Renaissance) et Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Les scores de dimanche reflètent toutefois la tendance observée lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022. Jean-Luc Mélenchon était arrivé en tête avec 54 % des voix à Tanger, sa ville natale, 52 % à Fès, près de 48 % à Rabat et 42 % à Casablanca.
« Je ne suis pas surpris, confie un collaborateur d’EELV. Les retours de terrain montraient depuis plusieurs semaines que les électeurs au Maroc se sentaient très concernés par ce qui se passe à Gaza. Ils ont envoyé un message très clair. » La personnalité de la juriste franco-palestinienne Rima Hassan, qui a rejoint la liste LFI, semble avoir joué en faveur de la mobilisation des électeurs français d’Afrique du Nord. « Le parti a su jouer à fond de sa médiatisation et les résultats lui donnent raison », poursuit le collaborateur d’EELV.
La venue de Gabriel Attal « compromise »
L’irruption du conflit israélo-palestinien dans la campagne des européennes n’est toutefois pas la seule raison qui expliquerait le vote des Français du Maroc en faveur de LFI. « La crise des visas a laissé des traces », note un militant de gauche. En septembre 2021, Emmanuel Macron avait réduit drastiquement leur nombre, le chef de l’Etat reprochant à Rabat, Alger et Tunis la faible délivrance des laissez-passer consulaires indispensables pour expulser des clandestins depuis la France. Jean-Luc Mélenchon n’avait alors pas ménagé ses critiques contre cette décision.
Si elle était pressentie, la victoire de LFI au Maroc paraît surtout ne pas avoir pâti des positions de Manon Aubry, s’étonne Nicolas Arnulf, un conseiller des Français de Rabat. Début 2023, la cheffe de file des insoumis à Strasbourg avait soutenu deux résolutions du Parlement européen : l’une appelait au respect de la liberté de la presse au Maroc, l’autre dénonçait les tentatives supposées d’ingérence de Rabat auprès des eurodéputés. A l’instar d’autres cadres de son parti, comme Mathilde Panot, Manon Aubry s’est aussi déclarée à plusieurs reprises en faveur des indépendantistes du Sahara occidental, que le Maroc considère comme partie intégrante de son territoire.
Mais les propos de Jean-Luc Mélenchon lors de sa visite officielle dans le royaume, en octobre 2023, ont certainement rassuré les électeurs franco-marocains, assure Abdelghani Youmni. Le leader insoumis avait laissé entendre que la France devrait se rallier aux Etats-Unis et à Israël, qui ont reconnu la souveraineté marocaine au Sahara occidental, ou à tout le moins à l’Espagne, qui tient le plan d’autonomie marocain pour « la base la plus sérieuse et crédible » en vue d’une résolution du conflit.
Incidemment, les résultats des élections européennes et la dissolution de l’Assemblée nationale, annoncée dimanche par le président français, pourraient freiner le réchauffement en cours des relations franco-marocaines. Attendu début juillet à Rabat, le chef du gouvernement, Gabriel Attal, devait participer à la haute commission mixte entre les deux pays, qui ne s’est pas tenue depuis 2019. Mais sa venue est aujourd’hui « très certainement compromise », indique une source diplomatique. Au Maroc, la question est désormais de savoir si c’est un premier ministre d’extrême droite qui prendra sa relève.