Le 9 juin, l’Assemblée nationale a été dissoute. La menace d’une arrivée au pouvoir du Rassemblement national est plausible, et les voix patronales sont discrètes, gênées, voire complaisantes. On connaît l’aversion des grands dirigeants pour les querelles politiques et pour les prises de position publiques électorales. Ils ne comprennent pas les querelles politiciennes, estiment qu’un chef d’entreprise est d’abord un gestionnaire et pensent que s’exprimer publiquement sur ses choix politiques risque d’engager aussi son entreprise, ce qui peut être nuisible côté consommateurs ou salariés.
Seul ou presque, Vincent Bolloré endosse le costume de nombre de patrons états-uniens qui, du fait et au nom de leurs fortunes, entendent promouvoir une mission messianique et civilisationnelle ; en faisant d’Eric Ciotti son « petit télégraphiste ». Lors des élections présidentielles passées, des organisations patronales et des dirigeants patronaux avaient clairement pris position contre le Front national (FN), devenu, en 2018, le Rassemblement national (RN), parfois dès le premier tour contre les solutions préconisées par le FN-RN déjà « marinisé ».
Les organisations patronales ont été incapables de publier un communiqué commun, car les dirigeants de l’Union des entreprises de proximité (U2P) n’ont pas voulu engager leurs adhérents. En effet, le poids démographique des très petites entreprises (TPE) parmi les entreprises est central − au moins 90 % d’entre elles sont des TPE − et pour autant qu’on puisse le savoir, la percée du RN y est égale et supérieure à la croissance des suffrages parmi l’ensemble des votants du dimanche 9 juin.
Recruteur d’électeurs
La plupart des entreprises de sondages ne donnent pas de ventilation fine pour cette catégorie très hétérogène socialement, culturellement et économiquement, qui correspond à 6 %-7 % des échantillons. Un sondage IFOP pour Les Echos mené auprès de 686 patrons de TPE donnait, à la mi-avril, 15 % de votes RN − et 20 % pour Renaissance −, quand le « rolling » IFOP-Fiducial, entre avril et aujourd’hui, place le RN, selon les jours, entre 25 % et 48 % pour les « artisans commerçants » ou les « dirigeants » d’entreprise.
On peut toutefois penser que, dans une partie du petit patronat, les thématiques RN font recette plus encore que dans le reste de la population : poids de l’Etat paperassier et fiscal, méfiance à l’égard des bureaucraties européennes, sentiment de déclassement, social et résidentiel, concurrence fantasmée ou réelle d’entrepreneurs étrangers censés travailler au noir, aigreur par rapport à ceux d’en haut, y compris les grands patrons, accumulant les passe-droits, pour ne rien dire de la gamme du ressenti de ne plus « être chez soi » et d’avoir perdu pied dans son propre pays et d’être poursuivis par des écologistes punitifs. De plus, un petit patron peut, en ce temps de levée des interdits, être aussi un recruteur d’électeurs.
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