« Une grosse claque et une infinie tristesse. » Colinda Ferraud n’a pas d’autres mots pour évoquer la soirée du dimanche 9 juin. Dans la cuisine de sa maison accrochée aux Cévennes, elle, d’ordinaire si « enthousiaste et positive », a du mal à digérer le résultat des élections européennes et son moral joue au yo-yo depuis dix jours. « La tristesse du matin laisse parfois place à des moments d’espoir », reconnaît la quadragénaire.
Ici, sous l’œil du mont Aigoual, en terres protestantes, le Rassemblement national (RN) s’est infiltré. Au Vigan (Gard), le gros bourg de la vallée, jamais le parti frontiste n’était arrivé en tête. « Jamais », répète Colinda Ferraud. Les européennes ont brisé cette fierté : Jordan Bardella a obtenu 23,2 % des suffrages dans la cité et 36,1 % sur l’ensemble de la 5e circonscription du Gard. Cette animatrice de métier, qui mène des projets de théâtre ou de cinéma avec les enfants des écoles, des adolescents, des familles, dans sa caravane ambulante, repasse les chiffres dans sa tête. Cela la chiffonne, elle voudrait comprendre. « Cela veut dire que, forcément, parmi tous les gens que je côtoie, certains votent RN… »
Il y a un peu plus d’un an, Le Vigan s’était pourtant mobilisé contre la réforme des retraites. Plus de 800 personnes avaient participé aux rassemblements, dans cette ville de moins de 4 000 habitants, dirigée par Sylvie Arnal (divers gauche) et où le président de la communauté de communes est un fidèle de la socialiste Carole Delga, à la tête de la région Occitanie. Une fois par semaine, les opposants se retrouvaient à 18 h 30, place de la mairie, pour brûler le projet de loi. Les « gilets jaunes », le collectif des précaires, les syndicats, CGT en tête, et d’autres associations avançaient ensemble. Quasiment au même moment, la population se battait aussi contre la fermeture de la maternité de Ganges (Hérault), à vingt minutes de là.
« Ces luttes collectives et citoyennes ne sont pas arrivées par hasard. On a un peu tous ça dans le sang. Nos familles se sont toutes un jour mobilisées pour défendre le travail. Ici, il y a un fort sentiment d’appartenance à un territoire que l’on ne veut pas voir mourir », explique Coralie Joly, cheffe de file de l’union locale CGT. Colinda Ferraud, qui n’est ni encartée dans un parti politique ni adhérente à un syndicat, y a puisé une énergie nouvelle. Elle a filmé tous ces instants et réalisé un petit film. « J’ai senti un élan solidaire, on a fait venir des familles, quelque chose nous unissait, raconte la maman de deux adolescentes. Il se passait quelque chose de beau. »
Il vous reste 62.96% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.