« Il y a un risque d’opposition radicale entre le judiciaire et le politique »

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Patrice Spinosi est avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, spécialiste des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En quoi la situation politique en France peut être inquiétante pour les libertés publiques ?

Plusieurs partis populistes et souverainistes ont, dans leur programme, des mesures qui sont de nature à porter atteinte à l’Etat de droit. En France, l’actualité de cette menace s’incarne dans le Rassemblement national (RN), qui est aux portes du pouvoir.

Pour prétendre être démocratique, un gouvernement doit accepter de respecter des règles de droit qui s’imposent à lui. Le peuple est évidemment souverain. Mais ses représentants doivent exercer leur mandat en se conformant à certaines valeurs fondamentales qui sont, en France, garanties par la Constitution, la Convention européenne des droits de l’homme et les traités de l’Union européenne (UE). Aujourd’hui, le RN promeut de nombreuses mesures qui pourraient être jugées attentatoires à ces règles supérieures.

De quelles mesures parlez-vous ?

L’instauration d’une préférence nationale [rebaptisée priorité nationale par le RN], par exemple. Cette mesure est contraire au principe d’égalité, lequel est garanti par la Constitution, comme par la Convention européenne des droits de l’homme. Pour qu’elle puisse exister dans notre droit, il faudrait donc modifier notre Constitution et se départir de nos obligations conventionnelles.

Lire aussi l’enquête | Article réservé à nos abonnés La préférence nationale prônée par le RN, une posture anticonstitutionnelle

En quoi est-ce important ?

Il faut revenir à l’histoire. Après la seconde guerre mondiale, les pères fondateurs de l’Europe avaient vécu les effets désastreux de la montée des souverainistes qui avaient entraîné le fascisme, le nazisme ou le franquisme. Pour s’en prémunir, ils ont voulu créer une superstructure juridique s’imposant aux nations afin de garantir certains grands principes fondamentaux qu’ils jugeaient universels.

Le droit européen a ainsi été conçu comme un carcan pour préserver la démocratie et la liberté contre les risques du populisme et du souverainisme. Ce mécanisme a maintenu la paix en Europe pendant soixante-dix ans. La tentation souverainiste est désormais de nouveau présente en Europe : avec le RN en France, mais aussi en Hongrie, en Slovaquie, aux Pays-Bas ou en Italie.

Y a-t-il un risque que la France bascule dans un régime illibéral ?

Je ne crois pas que nous puissions être confrontés à un risque de dictature. Des régimes illibéraux existent déjà en Europe. L’exemple de la Pologne a démontré que leurs gouvernements acceptent de se soumettre aux résultats d’élections. Demain, si le RN arrivait au pouvoir, nous serions encore dans un régime démocratique, avec une alternance possible. Mais le nouveau gouvernement chercherait à limiter les libertés fondamentales de l’ensemble des citoyens en prenant ses distances avec l’UE. Cela pourrait aboutir à de fortes tensions avec les autres Etats membres voire, in fine, à une dislocation de l’Union.

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