Pour un responsable politique rompu à la communication comme Jordan Bardella, un lapsus n’est jamais anodin. Surtout prononcé à deux reprises dans la même minute. Désireux de balayer les « caricatures » faites de son programme, le président du Rassemblement national (RN) a prévenu, le 14 juin sur BFM-TV, que « les Français d’origine étrangère ou de nationalité étrangère » n’avaient « rien à craindre de la politique qu’[il] veu[t] mettre en œuvre » en cas d’accession à Matignon après les législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet, à condition toutefois qu’ils « travaillent, paient leurs impôts, paient leurs cotisations, respectent la loi, aiment notre pays ».
« Français d’origine étrangère » ? « Je pense qu’il a savonné [dérapé], ça peut arriver, on est un peu sur les rotules », a relativisé dans la foulée l’ex-cheffe de file des députés RN, Marine Le Pen. Questionné sur ses propres mots, lors d’un déplacement dans le Loiret, le 14 juin, Jordan Bardella a évité le sujet, jugeant qu’y répondre n’était pas susceptible d’« élever le débat ». L’expression, un classique de l’extrême droite française, ne l’a pourtant jamais rebuté.
En décembre 2022, craignant des débordements en marge d’un match de football entre la France et le Maroc, l’eurodéputé d’extrême droite avait tancé des « Français d’origine étrangère [enfermés] dans la repentance et la haine de la France », une « génération arrivée à l’âge adulte (…) et qui se comporte comme les ressortissants d’un Etat étranger ».
« L’“origine” est un vieux fantasme du Front national [FN, devenu RN], une manière de suspecter par principe l’étranger ou celui qui viendrait de l’étranger, rappelle la sémiologue Cécile Alduy, professeure à Stanford (Californie) et chercheuse associée au Cevipof. Le RN, comme le FN sous Jean-Marie Le Pen [le cofondateur du parti], défend une philosophie naturaliste de la citoyenneté, définie par l’ascendance. C’est dans la chair, dans la nature biologique, que se transmettrait la citoyenneté française. »
« Français de papier »
Depuis 2011 et sa prise de pouvoir au FN, Marine Le Pen jure ne pas distinguer parmi les Français. « Je l’ai dit et redit cent fois, et mon propos est extrêmement clair : nous défendons tous les Français, quelle que soit leur condition d’acquisition de la nationalité », a-t-elle répété, agacée, en janvier, pour dénoncer le projet de « remigration » discuté par certains dirigeants du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD), son ancien allié (jusqu’en mai) au Parlement européen. Mais derrière sa volonté d’« apaisement » et sa promesse d’égalité, la triple candidate à la présidentielle et des membres de son parti distinguent plusieurs catégories de Français, selon leurs « origines » présumées ou leur appartenance à une autre nationalité.
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