C’est la « fête de l’été » du magazine hebdomadaire Franc-Tireur, mercredi 19 juin. La péniche Francette, amarrée au port de Suffren, à Paris, accueille les invités de la directrice de la rédaction, Caroline Fourest, et de son conseiller éditorial, Raphaël Enthoven. La dissolution surprise, neuf jours plus tôt, le 9 juin, est sur toutes les lèvres, comme le score de l’extrême droite aux élections européennes. Mais l’autre sujet brûlant, c’est la formation du Nouveau Front populaire (NFP), associant leur autre bête noire, La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon, aux sociaux-démocrates, aux communistes et aux écologistes.
« L’union fait la farce. » La couverture du magazine, ce jour-là, ne laisse planer aucune équivoque sur ce que le journal engagé pense de l’alliance des gauches. Dans un éditorial au vitriol, Raphaël Enthoven surnomme « Olivier faible » le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, chef d’un « groupuscule de veules » et de « moutons vénaux », qui « baisse son froc », et juge Raphaël Glucksmann coupable de « reddition ». L’essayiste s’était dévoilé en juin 2021 en déclarant qu’il préférerait voter pour Marine Le Pen face à Jean-Luc Mélenchon, déclenchant l’indignation et forçant l’association Printemps républicain, dont il est l’un des parrains, à cette mise au point : « L’extrême droite, jamais ! »
C’était après les attentats islamistes de 2015 et Manuel Valls parlait déjà de deux gauches « irréconciliables ». Depuis l’attaque terroriste du Hamas, le 7 octobre 2023, puis la riposte militaire d’Israël contre Gaza, les choses ne se sont pas arrangées. La résurgence d’un antisionisme aux relents antisémites au sein de la gauche radicale a encore creusé le clivage. Comme le grand rabbin de France, Haïm Korsia, républicain conservateur, qui refuse de choisir entre le parti d’extrême droite (« une perte de ce qu’est la République ») et la coalition du NFP (« la volonté de défaire absolument et radicalement la République »), certains à gauche voteront blanc. « Ni-ni » : un discours tenu dans la perspective d’un duel LFI-RN au second tour.
Patrons de presse, comme Denis Olivennes, journalistes, producteurs et éditeurs, tel Olivier Nora, PDG de Grasset, avocats parisiens… A la fête de Franc-Tireur est présente la palette entière de ceux qui, souvent macronistes, naguère à gauche ou continuant de s’en réclamer, déclinent ou interrogent l’offre du NFP. Un petit groupe d’invités s’amuse : « Si la péniche coule, une partie de la résistance disparaît… » Au micro, Caroline Fourest reprend le mot de participants qui viennent de comparer la Francette à l’Exodus, le bateau voguant en 1947 avec 4 500 survivants de la Shoah qui n’a jamais réussi à débarquer sur les côtes de la Palestine, alors sous protectorat britannique, comme s’ils étaient une petite famille de réfugiés se serrant les coudes. Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo, décrit le « naufrage » d’une « gauche minable » − son expression quatre jours plus tard, dimanche 23 juin, dans L’Express − au « cynisme absolu ».
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