Dans les journaux télévisés, l’empilement de reportages aux thématiques hétéroclites produit parfois des effets de sens inattendus. Mardi 25 juin, dans le JT de 13 heures de France 2, après un sujet sur les préparatifs des soldes, Julian Bugier lance la séquence « Paroles d’électeurs ». Retraité juché sur sa moto, Bernard Braudel ne fait pas mystère de son choix lorsque le journaliste lui demande pour qui il va voter : « Ben, RN. Faut qu’on essaye, on a tout essayé… » Le motard goguenard envisage-t-il réellement d’« essayer » un parti politique d’extrême droite, un peu comme on essaierait un pantalon ? Les idées sont-elles devenues une nouvelle forme de prêt-à-porter idéologique ? Et l’isoloir une cabine d’essayage ?
« Essayer le RN » : l’expression revient comme un mantra dans les sujets qui documentent les préparatifs des législatives anticipées. Elle dessine le portrait d’un citoyen-consommateur qui ne serait plus tant porté par des convictions que par la simple envie de tester un nouveau produit électoral. Le soir même, toujours sur France 2, la séquence « Au cœur de la campagne » s’intéresse au vote des jeunes, en allant tendre le micro dans une salle de boxe associative d’Aix-les-Bains (Savoie). Emilien, 26 ans, glissera lui aussi le bulletin RN dans l’urne. Pourquoi ? « Ben, disons que c’est un parti qui n’est jamais passé encore, donc on a envie d’essayer quelque chose de nouveau. » Essayer pour essayer, sans autre argument pour justifier son choix.
Au bord du lac, une mère et ses deux filles font état de leur peu d’enthousiasme pour l’élection à venir. « Je ne connais pas leur programme », dit l’une des sœurs. « Ça ne m’intéresse pas, la politique », grommelle l’autre. Néanmoins, les trois femmes ont envie d’essayer Jordan Bardella, satisfaites par le packaging du candidat. « Ben, il est jeune », argumente l’une des filles. « Et je trouve que ce qui est bien chez lui, c’est que, quand il parle, on comprend », renchérit sa mère.
Une nouvelle réalité psychique
Derrière l’étonnante légèreté des choix électoraux (après avoir testé cette offre, si l’on n’est pas satisfait, est-on vraiment sûr de pouvoir la résilier ?), une nouvelle réalité psychique se fait jour : notre paysage politique ne serait plus découpé entre des offres partisanes acceptables et des offres inacceptables. Aujourd’hui, même si Emmanuel Macron utilise à nouveau la fameuse martingale du « moi ou le chaos », il semble que, pour de nombreux concitoyens, toutes les offres se valent. Est-ce à dire que les partis jadis repoussoirs se seraient normalisés ? La lecture de l’ouvrage L’Extrême Centre ou le poison français. 1794-2017 (Champ Vallon, 2019) offre une tout autre perspective.
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