Disparition de Rhita Bennani, le « roc » de la famille Ben Barka

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La famille Ben Barka et ses proches la surnommaient « Mammo » ou « Mammi ». Rhita Bennani, la veuve de Mehdi Ben Barka, s’est éteinte à Paris, ce 26 juin 2024 dans la matinée, entourée de ses enfants et de son frère, Ali. Sa vie aura été marquée par la disparition de son époux, homme politique socialiste, leader tiers-mondiste et principal opposant au roi Hassan II du Maroc, enlevé à la brasserie Lipp, dans la capitale française, le 29 octobre 1965. Peu avant sa mort, il préparait, avec Che Guevara, la Conférence de la solidarité des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine (la « Tricontinentale »).

Parti Istiqlal et indépendance du Maroc

Le destin de Rhita Bennani aura été celui d’un combat acharné pour élucider les circonstances de la mort de son mari et découvrir l’identité des personnes impliquées dans l’un des assassinats politiques les plus tristement célèbres de l’Histoire. Mais cette vérité, la famille Ben Barka ne jamais obtenue. « Le souhait premier de Rhita Bennani était de retrouver le corps de son mari, pour que le deuil puisse enfin commencer. Cela ne s’est jamais réalisé, et elle en a gardé une déception très profonde », confie à JA un proche de la famille.


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Digne et déterminée, Rhita Bennani a été le roc du clan Ben Barka. Née au sein d’une famille arabo-andalouse de l’ancienne médina de Rabat, elle grandit dans un Maroc sous protectorat français. Issue d’un milieu traditionnel, la jeune fille n’accède pas à l’éducation « moderne », et porte voile et djellaba. Sa famille fréquente la famille de Mehdi Ben Barka, établie dans le même quartier. Les deux jeunes gens convolent en 1948. Rhita a 16 ans, Mehdi, 28. Professeur de mathématiques, il est déjà une figure du mouvement nationaliste, confondateur du parti de l’Istiqlal et signataire du Manifeste de l’indépendance (1944).

Accaparé par son combat politique, toujours sur le terrain, au Maroc, ou en tournée à l’étranger, Mehdi Ben Barka est surnommé « la dynamo », aussi bien à l’Istiqlal qu’à l’Union socialiste des forces populaires (USFP). Il n’en encourage pas moins son épouse, analphabète, à s’instruire. Il l’aide à apprendre le français, l’encourage à retirer son voile. Rhita Bennani vit une forme d’émancipation par le mariage. Le couple, résolument moderne et qui s’estime mutuellement, donne naissance à quatre enfants : Bachir, Fawz, et les jumeaux, Saad et Mansour. « Rhita s’est énormément investie dans leur éducation », souligne un proche.

Rhita Bennanni et Bachir Ben Barka, l'épouse et le fils de l'opposant marocain Mehdi Ben Barka, après leur dépôt de plainte pour assassinat, le 30 octobre 1975, à Paris. © KEYSTONE-FRANCE/GAMMA RAPHO

Rhita Bennanni et Bachir Ben Barka, l’épouse et le fils de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka, après leur dépôt de plainte pour assassinat, le 30 octobre 1975, à Paris. © KEYSTONE-FRANCE/GAMMA RAPHO

Mais elle ne se cantonne pas au rôle de femme au foyer. « Elle accompagnait régulièrement son mari lors de ses rencontres politiques ou diplomatiques. Par exemple, Rhita était présente lorsque Mehdi s’est entretenu avec Mao Zedong, en 1959. Il essayait alors de faire baisser la tension entre la Chine et la Russie, afin de renforcer l’alliance des pays du Tiers Monde. C’est ce qui lui a valu d’être nommé président du comité préparatoire de la Tricontinentale », poursuit notre source.

Sous la protection de Nasser

Rhita Bennani subit, aussi, la répression dont est victime Mehdi Ben Barka et ce, dès le début des années 1950. Juste après leur mariage, les autorités françaises exilent le militant dans les tréfonds du sud marocain. Il y restera quatre ans. Elle finit par obtenir une autorisation de visite de trois mois. Leur fille, Fawz, naîtra peu après. Fidèle aux convictions de son mari, dont elle est une véritable alliée, Rhita vit dans l’incertitude et l’angoisse, effrayée à l’idée qu’il puisse lui arriver malheur.


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En 1963, sept ans après l’indépendance du Maroc, Mehdi Ben Barka prend de lui-même le chemin de l’exil après avoir été accusé de « complot contre la monarchie » et avoir échappé à un attentat. Un an plus tard, il est condamné à mort par contumace. Sa femme et ses enfants sont toujours à Rabat. Leur maison est fouillée, pillée, puis placée sous scellés. Ils sont à leur tour contraints de quitter leur patrie, mais pas tous ensemble, afin de ne pas attirer l’attention. L’un prétexte une visite médicale, l’autre un séjour touristique, et tous achètent un billet aller-retour.

De retour, il n’y en aura pas. Après un passage à Zurich, en Suisse, puis en France, les Ben Barka se réfugient en Égypte, où Nasser leur accorde sa protection. Toujours en déplacement, Mehdi Ben Barka ne séjournera que deux fois dans cette grande maison cairote, jusqu’à sa disparition, en 1965, que sa famille n’apprend que deux jours plus tard par les journaux.


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Rhita Bennani endosse alors le rôle de chef de famille. Malgré le choc, terrible, elle fera tout pour protéger ses enfants du traumatisme. Elle va jusqu’à refuser la nationalité égyptienne et un revenu que lui assurent ses amis, pour rejoindre la France. Son installation a, dit-on, été facilitée par Jacques Chirac, alors maire de la capitale, qui met à sa disposition un logement de la ville de Paris. « Elle voulait que ses enfants aient accès à la meilleure éducation possible », explique un proche. Mission réussie : toute la fratrie fera des études brillantes, sur les traces de Mehdi Ben Barka, en optant pour les mathématiques et la physique.

Rencontre avec Fouad Ali El Himma

Surtout, Rhita Bennani prend à bras-le-corps le volet judiciaire de l’affaire, avec l’aide d’Abderrahmane Youssoufi, figure éminente de l’USFP (il sera Premier ministre du Maroc de 1998 à 2002) et de l’avocat Maurice Buttin, un ami de la famille. Son fils aîné, Bachir Ben Barka, prendra le relais.

En 1999, la famille revient pour la première fois au Maroc. L’émotion est au rendez-vous. Elle rencontre notamment Fouad Ali El Himma, conseiller de Mohammed VI. Rhita Bennani attendait alors une « clarification », c’est-à-dire que l’identité des responsables, français et marocains, du rapt et de l’assassinat de son époux lui soit dévoilée. Cette clarification n’est jamais venue. Elle ne s’est donc jamais réinstallée dans son pays natal, qui lui manquait tant. Elle sera inhumée à Paris.

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